Dans son avant-propos, Thomas Day prévient : Le Trône d’ébène ne doit pas être considéré comme un roman historique consacré au fameux roi des Zoulous, mais comme une fantasy mêlant dieux et sorcières à des personnages et événements réels, sans compter les libertés prises avec les structures sociales ou la géographie. Pourtant, dans la double lecture possible qu’il offre, ce roman relève plus d’un récit fantastique à cadre historique, comme Gilgamesh, roi d’Ourouk de Robert Silverberg, que de la fantasy.
L’auteur nous dépeint la geste plus que l’histoire de Chaka, roi des Zoulous. Persuadé d’être l’élu annoncé par une prophétie, l’enfant illégitime du roi de ce qui n’est au début qu’une petite tribu passera de gamin martyr au statut de puissant guerrier, puis de roi, avant de faire de l’empire zoulou une tempête qui changera profondément la géopolitique de l’Afrique australe et fera entrer à jamais son nom dans la légende. Un parcours « À la Conan » sous la profonde influence de deux femmes : une sorcière et sa mère, ainsi que celles des dieux, dont il entend les paroles tel une Jeanne d’Arc africaine. Et la pucelle n’est pas le seul personnage historique / mythique pertinent dans l’analyse que l’on peut faire du Chaka dépeint par Day : l’avant-propos ou le roman cite le roi Arthur (la sagaie Ilembé est fortement réminiscente d’Excalibur), Alexandre le Grand (pour l’aspect conquérant, et une relation à fort parfum d’inceste avec sa mère), sans parler de Napoléon (réorganisation complète de l’armée, impérialisme, militarisme, forte action législatrice), Caligula, voire Vlad l’Empaleur (la cruauté et la tyrannie de Chaka sont sans limites), ou Léonidas de Sparte, sans parler, bien entendu, de Jules César, dont Chaka partagera le sort.
Thomas Day nous offre un roman remarquable, à la fois sur le fond (une dénonciation du militarisme, de l’impérialisme, de la tyrannie, de l’esclavagisme – celui des… Zoulous avant tout –, du viol punitif, de l’utilisation du ventre des femmes pour effacer une nation et en renforcer une autre), mais sans doute surtout sur la forme : de la double grille de lecture possible au souffle épique en passant par le fascinant personnage de Chaka et une écriture qui, si elle n’est pas tout à fait aussi exquise et flamboyante que dans La Voie du sabre, est tout de même absolument admirable, nous obtenons un excellent livre, dont le seul défaut est peut-être sa frustrante brièveté.