Joe HALDEMAN
FOLIO
256pp - 9,40 €
Critique parue en octobre 2002 dans Bifrost n° 28
[Critique commune à Le Message et Le Vieil Homme et son double.]
Après un purgatoire d'une bonne décennie, l'œuvre de Joe Haldeman connaît depuis peu un retour en grâce auprès des éditeurs français. On peut ainsi découvrir cette année trois de ses romans récents — un vrai chef-d'œuvre non S-F chez Denoël, Les Deux morts de John Speidel, et les deux ouvrages dont il est question ici. Autant le dire d'entrée : il s'agit, pour ces derniers, de livres relativement mineurs, mais non dénués de qualités.
Le Message est le plus classique, du moins sur le fond. Dans un futur proche, une scientifique américaine reçoit de l'espace un message qui, une fois décrypté, se révèle fort simple : NOUS VENONS, répété soixante fois. Sa source ? Un objet en approche frôlant la vitesse de la lumière, qui atteindra la Terre trois mois plus tard, pour le Jour de l'An. Essentiellement, la suite du livre examine les conséquences de cette nouvelle sur la politique, la diplomatie et le quotidien des États-Unis durant ce laps de temps. Sauf que rien n'est aussi simple qu'il n'y paraît, ni chez les visiteurs annoncés, ni chez ceux qui attendent leur venue avec des sentiments mêlés… et des intérêts contradictoires.
On le voit, on est ici en terrain connu, balisé — et traité au cinéma avec Contact, adapté d'un roman de Carl Sagan, ou The Arrival. Le style, en vignettes nerveuses abondamment dialoguées, rappelle celui d'un film. (La structure, tout en changements de point de vue au gré du ballet des personnages, évoque certains Altman.) Haldeman réussit en outre à surprendre et à séduire par la crédibilité de l'avenir décrit, très fouillé, rendu par une multitude de petits détails semble-t-il anodins, et par la résolution de l'intrigue, assez surprenante. Bref, un divertissement intelligent. Le Vieil homme et son double est un tantinet plus ambitieux — la novella qui lui sert de base a d'ailleurs réalisé le doublé Nebula/Hugo, ce qui n'est pas si fréquent. Ici, tout part de la rencontre d'un érudit et d'un escroc. Spécialiste d'Hemingway, l'érudit envisage un article sur les œuvres de jeunesse perdues de l'écrivain… jusqu'à ce que l'escroc le persuade de les « découvrir » (autrement dit, de rédiger sur machine à écrire et papier d'époque des pastiches plus vrais que nature). Mais ce serait sans compter sur certains êtres qui veillent sur la trame des possibles et qui estiment que la supercherie, menée à son terme, mettrait en péril la structure du réel, vu la place que l'image de l'œuvre d'Hemingway occupe dans la psyché américaine et, partant, mondiale. L'érudit devra donc mourir… plusieurs fois, au besoin.
Cette idée tordue permet à notre auteur de s'en donner à cœur joie sur le registre des univers parallèles et des paradoxes temporels, jusqu'au vertige. (Ce n'est sans doute pas pour rien que le texte cite Heinlein, coupable de deux des traitements définitifs de ces questions.) Mais l'ouvrage vaut aussi par le jeu sur les écrits d'Hemingway, y compris quelques extraits de « pages perdues » très réussis, et par le montage de la supercherie littéraire. Un livre goûteux comme un cuba libre.
Voici donc deux romans futés, plaisants et, ce qui ne gâte rien, traduits à la perfection par deux des meilleurs professionnels du domaine. S'ils sont, oui, mineurs, c'est comme Mozart à l'occasion : cent coudées au-dessus de la concurrence, tout de même.