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Les critiques de Bifrost

Le Village des damnés / Chocky

Le Village des damnés / Chocky

John WYNDHAM
DENOËL
432pp - 20,50 €

Bifrost n° 71

Critique parue en juillet 2013 dans Bifrost n° 71

Le Village des damnés et Chocky sont deux romans de l’anglais John Wyndham, publiés il y a un peu plus d’un demi-siècle pour l’un, et un peu moins pour l’autre. « Lunes d’encre » a aujourd’hui la bonne idée de les rééditer en les réunissant, en raison de la proximité des thèmes qui y sont abordés (on précisera par ailleurs que la présente édition propose Chocky dans une traduction nouvelle).

Le Village des damnés : Dans le petit village paisible de Midwich, toutes les femmes en âge de procréer se retrouvent enceintes après qu’un événement inexpliqué a provoqué l’endormissement de toute la population pour trente-six heures. Arrivées à terme, elles accouchent toutes d’enfants apparemment normaux, n’étaient leurs yeux dorés. Rapidement, ces enfants « coucous » font montre de capacités mentales étendues et d’une amoralité qui les rendent pour le moins inquiétants. Que faire ?

Chocky : Dans une famille tranquille de la middle class anglaise, le fils ainé, Matthew, se met à converser avec ce qui semble être un ami imaginaire, Chocky. D’abord indulgents, ses parents deviennent de plus en plus inquiets et désemparés. Ce qu’ils avaient commencé par interpréter comme une phase régressive transitoire sem-ble s’éterniser, et de plus, les discussions de Matthew avec Chocky, les questions qu’elles l’amènent à poser, et les réalisations qu’elles lui permettent, rendent de moins en moins vraisemblable l’hypothèse de la pure invention. Comment réagir ?

Dans les deux cas, il est question d’invasion, d’étrangers s’insérant subrepticement dans un lieu auxquels ils n’appartiennent pas — et pour quel sombre dessein ? Dans les deux cas, les vecteurs sont des enfants. On imagine sans peine le malaise que purent susciter ces histoires de cinquième colonne dans un monde en pleine Guerre froide, et ces atteintes aux enfants du baby-boom — les premiers dans l’Histoire à être parés de toutes les qualités, à commencer par l’innocence…

Leurs tenants et aboutissants éloignent ces deux histoires, leur base contextuelle les rapproche.

Ce qui leur est commun aussi, c’est la manière dont Wyndham les traite. Il y a quelque chose dans ces deux romans d’un bon épisode de Twilight Zone. L’incursion inexplicable d’une réalité autre dans notre univers prosaïque intrigue ceux qui la vivent avant de leur imposer de la prendre en compte, ce qu’ils font de la seule manière civilisée qu’ils connaissent.

Tolkien a dit un jour que ses hobbits étaient les Anglais paisibles de la campagne. C’est de ces mêmes Anglais que parle Wyndham. Face à l’extraordinaire, des gens ordinaires, dans un lieu qui ne l’est pas moins, doivent s’adapter et réagir, si possible. Ils le font, parfois difficilement, en tentant de préserver au maximum ce qui fait leur mode de vie habituel. L’inconnu est traité dans les deux histoires avec un flegme typiquement britannique et une volonté affichée de préserver décence, discrétion, et dignité.

Si Le Village des damnés pose explicitement la passionnante question des mesures que doit prendre une civilisation pour survivre, s’interrogeant sur le conflit entre rationalité machiavélienne et morale judéo-chrétienne (Wyndham y répond comme il le faisait dans Le jour des triffides), Chocky creuse plutôt la notion de vérité, et les accommodements qu’on doit faire avec celle-ci quand trop de transparence serait néfaste. Dans les deux histoires en tout cas, Wyndham montre qu’il est difficile d’accepter une vérité qui dérange, et comment déni et délusion sont souvent préférés.

Divertissantes, intelligentes, reposantes pour le lecteur, ces deux histoires méritent qu’on leur accorde de l’attention. Elles offrent un vrai bon moment d’é(in)vasion.

A noter : Le Village des damnés a été adapté au cinéma en 1960 et 1995. Chocky l’a été en série télé en 1984.

A noter aussi : écrits avant le féminisme, ces deux romans portent les préjugés de leur époque, notamment sur la psychologie des femmes et leur rapport aux enfants. Drôle.

A noter enfin : Wyndham semble s’intéresser beaucoup à l’origine, innée ou acquise, de l’instinct maternel. On ne peut que lui conseiller L’Amour en plus, d’Elisabeth Badinter.

Éric JENTILE

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