Eté 1928, dans une petite ville de l’Illinois, Green Town. Un enfant, Douglas Spaulding, 12 ans, achète des chaussures de tennis neuves avec la promesse de faire toutes les courses urgentes du cordonnier. Deux sorcières (l’une aguerrie, l’autre débutante) se livrent une guerre sans pitié pour la présidence de la Ligue des Dames du Chèvrefeuille. Des enfants refusent de croire une vieille dame qui affirme qu’elle aussi a été jeune… il y a longtemps. A la rentrée scolaire, horreur ! un autobus remplacera le trolley. On achète de la crème glacée. On va faire un pique-nique en forêt, ramasser des myrtilles. On se promet une amitié éternelle. Un grand-père s’apprête à mettre en bouteille son célèbre vin de pissenlit, métaphore liquide d’un été parfait.
Eté 1928, dans une petite ville de l’Illinois, la vie coule doucement comme l’eau d’un ruisseau à l’ombre de grands arbres, tous les conflits (ou presque) s’achèvent dans la réconciliation. Et nul n’a encore compris qu’une ombre s’étendra bientôt sur tout le pays : la crise financière de 1929.
Avant toute autre considération, il faut préciser que Le Vin de l’été n’est pas un roman, c’est un fix-up de nouvelles reliées par des petits textes, des dialogues ; un récit éclaté dont le cadre pourrait être unique : Green Town, l’été 1928 (tout cela est très flou, contrairement à ce que laisse entendre la préface de Robert Kanters). Par contre, il est évident que Douglas Spaulding, c’est Ray Brabury enfant, et que Green Town n’est autre que Waukegan, où l’auteur a passé une partie de sa jeunesse.
De tous les romans/fix-up de Ray Bradbury, Le Vin de l’été est le plus représentatif de sa pensée, ce qu’accentue bien évidemment tout son côté autobiographique : il est légitime de s’inquiéter de tout le changement/soi-disant progrès, les machines n’apportent pas le bonheur, car les hommes n’ont pas la « sagesse de la machine ». Mélancolique, nostalgique, doux et cuivré, tel est le vin de l’été ; pas un roman, juste une suite de petites saynètes, parfois quelques nouvelles plus longues (et qui ne s’intègrent pas forcément bien dans l’ensemble), des cancans, des dialogues qui s’empilent et dressent le portrait de l’apogée de la civilisation américaine selon Ray Bradbury : l’été 1928. Cet été perdu qu’il a cherché toute sa vie à recréer, à retrouver, sur Mars et ailleurs. Cet été dont paradoxalement le contraire est l’automne, les jours qui raccourcissent, la menace d’Halloween et des cirques ambulants.
Le dictionnaire nous apprend que « La pensée réactionnaire rejette un présent perçu comme décadent et prône un retour vers un passé idéalisé. » ; Le Vin de l’été ne répond pas complètement à cette définition puisqu’il ne rejette pas un « présent décadent » — le progrès moral, la tolérance y sont de mise. Roman en fin de compte assez peu politique, Le Vin de l’été est l’œuvre d’un adulte qui, enfant, a connu l’été parfait et échoue à se mentir à lui-même : il ne le retrouvera jamais.
Difficile à lire, du fait de son côté décousu, de sa kyrielle de personnages, de son absence d’intrigue générale (l’ensemble frôle souvent le fourre-tout), Le Vin de l’été n’en est pas moins riche et souvent savoureux (les dernières pages sont extraordinaires). Il mériterait bien une réédition.
Une suite a paru en 2006, Farewell summer. Pour le moment inédite en français, elle se focalise sur l’automne 1929 de Douglas Spaulding, qui connaît alors ses premiers émois sexuels.