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Les critiques de Bifrost

Le Voleur de songes

Le Voleur de songes

Michel JOUVET
ODILE JACOB
288pp - 22,90 €

Bifrost n° 35

Critique parue en juillet 2004 dans Bifrost n° 35

Dans son second roman, le neurobiologiste Michel Jouvet, découvreur du sommeil paradoxal au début des années 60 à partir de ses expériences sur les chats, onirologue reconnu, revient sur son parcours d'une façon inattendue. Il se met en scène avec une rare humilité, septuagénaire amateur de femmes que des maux de dos et une jambe fatiguée obligent à suivre une cure de bains de boue à proximité de Venise. Commence alors un parcours onirique, truffé de faux semblants, qui l'amène à renier ce à quoi il a toujours cru.

Lui qui a toujours affirmé que la mémoire génétique de chaque individu s'exprime par le rêve revient sur sa théorie, la nie en public, s'interroge sur la présence simultanée d'une jeune fille aperçue en divers endroits et qu'il tente de retrouver, affirme le caractère prémonitoire des rêves et dévore les horoscopes. Ses amis ne le reconnaissent plus et se contentent d'observer sa lente déchéance qui fait de lui un clochard égaré dans Venise. Ses rêves deviennent des rébus qui, lorsqu'il parvient à les déchiffrer, éclairent ses mésaventures sous un jour singulier.

Se souvient-il d'avoir mené des recherches sur une molécule GB 169 censée modifier la personnalité d'un individu à travers ses rêves ? Dans sa quête onirique, ne serait-il pas en train de mener, sans le savoir, une enquête policière dans laquelle il serait la victime, manipulée par des agents secrets, un gérontologue viennois, des neurologues russes autrefois rencontrés dans des congrès à Saint-Pétersbourg, ainsi qu'un inquiétant Vladimir Vladimirovitch ? La modification de sa personnalité serait paradoxalement la preuve de la réalité des théories auxquelles il a cessé de croire.

C'est autour de cette fascinante idée que le savant devenu écrivain nous entraîne, manifestant des doutes sur la portée scientifique de ses travaux (40 ans d'une vie de physiologiste, c'est une vie gâchée, a-t-il affirmé dans une interview), éprouvant de vifs regrets pour les chats qu'il a torturés dans sa carrière, se moquant de certaines théories en vogue, tout en adoptant le ton léger propre au journal de voyage et en délivrant des clés astucieusement dissimulées dans son roman en forme de thèse scientifique. L'auteur, pourtant, ne s'appesantit jamais ni ne se livre à de grandes démonstrations. Seule importe le récit, dérive onirique qui s'achève sur un terrible constat, à peine formulé, de la manipulation de l'individu par les rêves.

On ne peut qu'être séduit par ce roman à la marge de la science-fiction, ne serait-ce que parce que les spéculations qui le nourrissent n'en détruisent jamais le charme.

Claude ECKEN

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