James SMYTHE
BRAGELONNE
352pp - 20,00 €
Critique parue en juillet 2014 dans Bifrost n° 75
« Nous y allons parce que nous le pouvons. » Dans un futur proche, c’est à ces mots que se résume la reconquête de l’espace. Les agences spatiales nationales ont abdiqué, laissant aux entreprises privées la tâche de lancer des vols spatiaux. Et quoi de tel qu’un vol habité pour redonner foi et envie aux gens ? Un vol dont le but est d’aller plus loin qu’aucun homme n’a jamais été, en guise de prélude à l’exploration martienne.
Ils sont six dans l’équipage de l’Ishiguro. Dès le départ, les choses tournent mal : le capitaine est le premier à mourir, suivi des autres astronautes au cours des semaines qui s’enchainent, jusqu’à ce que le journaliste Cormac Easton, chargé de documenter le voyage, soit le dernier en vie. Hélas, un bug empêche le vaisseau de faire demi-tour. Alors que l’Ishiguro tombe à court de carburant, sans espoir de retour, Cormac opte pour son autodestruction. Cependant, le journaliste a la surprise de se retrouver, non dans les limbes, mais dans le vaisseau, juste après son départ, alors que tout l’équipage — y compris un double de lui-même — est encore endormi. Cormac décide de se dissimuler, et va revivre le voyage jusqu’à son terme…
On pourra reprocher au Voyageur de se conclure trop abruptement, et d’introduire dans ses derniers chapitres un concept à première vue sous-exploité : l’anomalie. Ce n’est guère un spoiler que de l’évoquer, celle-ci donnant son titre à l’ensemble dont Le Voyageur n’est que la première partie : « le Quartet de l’Anomalie ». Le deuxième volet, The Echo, est paru outre-Manche en début d’année, et explicite partiellement les mystères du Voyageur, racontant le fiasco d’une nouvelle mission habitée à destination de l’anomalie, vingt-trois ans après la disparition de l’Ishiguro.
Le Voyageur est un roman que l’on aimerait chaudement recommander, mais deux défauts le pénalisent. Le premier concerne les rebondissements qui imposent les choix narratifs au roman. Le plus flagrant : l’équipage de l’Ishiguro est plongé en hibernation au moment du décollage seulement pour que Cormac puisse remonter le temps incognito. La ficelle est un peu grosse. Surtout, pour un roman de SF, l’aspect scientifique est curieusement absent, voire aberrant, et l’auteur peine à masquer ses lacunes derrière son narrateur, un journaliste non spécialisé. Qu’on en juge : les seuls astres du Système solaire cités sont le Soleil, la Terre, la Lune et Mars. Où se dirige l’Ishiguro ? Loin. Voilà qui est précis… Les réacteurs sont constamment allumés : quelle nécessité ? L’accélération n’est pas le but cherché par les spationautes du roman (on peut frémir quand Cormac se demande s’il y a des frictions dans l’espace). Des lacunes hélas encore présentes dans The Echo. Pour une série de SF se voulant sérieuse, c’est dommage. A moins que Smythe veuille épargner à ses lecteurs des explications qu’il suppose fastidieuses — auquel cas, c’est les prendre pour des imbéciles, et c’est pour le moins regrettable de la part de ce professeur de creative writing.
Tout cela est bien dommage, car James Smythe a du talent et n’a rien d’un débutant — six romans à son actif. Troisième livre de notre auteur, Le Voyageur s’avère réussi par ailleurs : le contexte présidant au lancement de l’Ishiguro est intéressant, les personnages sont bien campés, l’histoire est menée avec adresse jusqu’à son terme, l’ambiance glaçante est saisissante et donne pleinement à ressentir la solitude, l’ennui et le vide de l’espace. Espérons que, pour ses prochains romans de science-fiction, Smythe ne fera pas que se concentrer sur la deuxième partie du terme.