On n'a pas souvent l'heur de lire Joëlle Wintrebert dans les collections pour adultes, et encore moins d'inédits, alors, autant profiter de l'occasion. Lentement s'empoisonnent s'inscrit dans la série des enquêtes de Mark Sidzik, labelisée « Quark Noir » et sous-titrée « La science kidnappe le polar », où se sont déjà illustrés entre autres Pierre Bordage et Richard Canal. Mark Sidzik, ex-astrophysicien devenu enquêteur au service d'un comité d'éthique, est donc de fait un héros partagé.
Peu de temps après avoir reçu d'Otto Hagen, président d'une ONG, un e-mail fort compromettant pour son expéditeur, Sidzik apprend que celui-ci s'est noyé dans le lac de Genève avant d'avoir pu se mettre à table. Cherchant à en savoir davantage, il voit toutes les portes se fermer devant lui, parfois de manière définitive. Mais trop tard : le lièvre est levé. Avec l'aide de son copain Fred, qui est à Sidzik ce que Bill Ballantine est à Bob Morane, faire-valoir et accessoire narratif, il progresse en dépit des risques croissants, ses énigmatiques adversaires ne reculant pas devant des moyens expéditifs.
Dans un jeu où se croisent multinationales de l'industrie pharmaceutique, ONG de développement en Afrique, l'OMS, des investisseurs de capital-risque, une société de recherche spécialisée dans les organismes transgéniques (OGM) destinés à la production de vaccin, et des sociétés écrans : les mises sont plutôt élevées. Vu les coûteux délais et les parcours du combattant qui président à la commercialisation d'un nouveau vaccin et à la production de transgènes, il faut bien s'attendre à ce que la légalité soit circonvenue. Inévitablement. Tout le monde étant compromis avec tout le monde…
Joëlle Wintrebert joue fin. Plutôt que d'épaissir grossièrement la sauce en présentant des sociétés transnationales comme des criminels sans scrupule aucun ainsi que l'eût naguère fait une certaine SF politique, elle montre combien l'appât du gain des fonds de pension conduit à un déficit éthique. Lequel constitue une faiblesse qui peut être exploitée par d'autres. Trop souvent en effet, la morale s'arrête où commence l'intérêt.
À défaut de tenir un chef-d'oeuvre, on a là un roman qui allie l'utile à l'agréable. À un thriller divertissant, Lentement s'empoisonnent joint un coup de projecteur sur les mécanismes qui conduisent à des affaires de « vaches folles » ou de « sang contaminé », où il apparaît que la rétribution du capital est plus nocive que les transgènes. Bref, c'est certain, voici une belle occasion de ne pas lire idiot.