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Les critiques de Bifrost

Léopard noir, loup rouge

Léopard noir, loup rouge

Marlon JAMES
ALBIN MICHEL
704pp - 24,90 €

Bifrost n° 109

Critique parue en janvier 2023 dans Bifrost n° 109

Auteur de plusieurs œuvres de fiction, dont le multi-récompensé Brève histoire de sept meurtres, Marlon James a fait une entrée remarquée dans les littératures de l’Imaginaire avec Léopard noir, loup rouge, pour lequel il a reçu en 2020 le prix Locus du meilleur roman d’horreur. Il aura fallu attendre trois ans pour voir enfin traduit ce premier tome de la trilogie « Dark Star » précédé d’une réputation favorable.

Le lecteur est d’emblée livré à Pisteur qui, suite à son arrestation, est interrogé au sujet d’un enfant disparu. Ainsi, en bon conteur, celui qui a la réputation d’avoir du nez se confesse à son interlocuteur, digressant d’une histoire à une autre, retraçant peu à peu le fil de la traque dans laquelle il a accepté de se lancer afin de retrouver l’enfant. Le point de vue proposé est donc celui de l’inquisiteur chargé d’obtenir de lui des informations, n’ayant d’autre choix que de l’écouter, au risque de longs détours et d’incohérences. Leur échange transparait au gré des remarques que Pisteur lui adresse en réponse ou en réaction.

Dans une atmosphère passablement inquiétante, et loin de tout manichéisme moral, sorcières, métamorphes, enfants étranges et autres créatures effrayantes achèvent de situer cet univers dans le registre de la dark fantasy. Le roman se démarque avant tout par l’inspiration de son auteur, qui est allé puiser mythes et légendes dans le vivier culturel du continent africain pour les mettre au service de son récit. Cette première approche constitue déjà en soi un atout considérable, véritable bouffée d’air frais au sein d’une production éditoriale saturée depuis des décennies, à quelques exceptions près (Ken Liu et le silkpunk) par les cultures occidentales. Une perte de codes et de repères bienvenue en ce qu’elle renforce le sense of wonder chez un lecteur qui, sorti de sa zone de confort, sera plus facile à surprendre. La qualité de l’écriture s’impose ensuite très vite comme l’autre atout majeur du roman. Si Marlon James fait le choix d’une narration proche de l’oral, dans une logique propre au conteur, il ne glisse jamais dans la facilité du registre familier. Le langage est pourtant brut, obscène plus souvent qu’à son tour, mais gardant toujours la maitrise de sa vulgarité, et volontiers percutant au détour d’une phrase qui sonne juste ou d’une réplique ciselée. Du reste, le récit est sans complaisance et recèle une certaine violence qui n’est pas sans rappeler le style de Nnedi Okorafor, quitte à brusquer son lecteur.

Marlon James n’est donc pas tendre mais, pour peu que l’on s’y prête, tout cela fonctionne à merveille. Et si le Pisteur n’est pas un protagoniste des plus attachant, sa façon de délivrer son récit sur le mode du conte s’avère captivante, tout comme l’univers dans lequel il s’inscrit. Le secret, sans doute, pour dévorer près de 700 pages sans même s’en apercevoir. À découvrir absolument !

Camille VINAU

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