À l'instar des littérateurs ou des cinéastes prudents, qui avertissent le public sensible du caractère totalement fictif, voire fortuit, des situations et personnages de leur œuvre afin de se prémunir contre les éventuelles poursuites judiciaires, Michel Robert nous prévient dans un avant-propos fort désarmant de l'inconsistance de l'humour dont il fait montre dans son « roman » (j'avoue avoir pas mal de scrupules à employer ce mot). Même Le Rire de Bergson apparaît comme un livre dangereusement déjanté comparé aux divagations besogneuses de l'auteur vedette des éditions Mnémos, c'est dire…
« Je tiens à préciser que je déconseille vivement de suivre le mode de vie festif des mousquetaires. J'utilise leurs débauches nettement exagérées comme un ressort comique, je n'en fais nullement l'apologie. Au risque de le répéter, boire de l'alcool et fumer sont dangereux pour la santé. » (p. 6 de l'avant-propos)
Les prémisses de Les 4 Mousquetaires… et plus si affinités sont à la hauteur de l'attente suscitée par l'avant-propos de Michel Robert. Elles flatulent tel un coussin péteur et provoquent rires gras et embarrassés. Et ceci ne s'arrange pas du tout par la suite. L'intrigue peut se résumer en une seule phrase : les quatre potaches mousquetaires courent au-devant de l'aventure, ne comptant que sur leur puérilité pour défier des adversaires grotesques.
« Les moines, ou plutôt les faux moines, se levèrent d'un même ensemble et ôtèrent leur déguisement, laissant apparaître cottes de mailles ou cuirasses d'acier, masses d'arme, marteaux de guerre et dagues. Les hommes avaient quasiment tous le teint pâle de leur chef, mais portaient en majorité une grande barbe sombre. L'un deux lâcha un sonore : »Mein Füührer !« . Des Teutons se gargarisa Porthos. J'vous l'avais dit qu'ça sentait le coyote ! » (p. 16)
On me rétorquera que l'unique enjeu de ce « truc » (abandonnons définitivement le terme de roman), c'est de délirer… Les 4 Mousquetaires etc., c'est fun, c'est rigolo, ce n'est pas méchant, ça ne casse pas trois pattes à un bouc noir, pour reprendre le juron préféré de Porthos. Mais ce qui peut se concevoir dans une chambrée surchauffée, l'alcool et les femmes (si si !) coulant à flot, peut-on l'asséner à un public plus large ? Pour le lecteur moyen des éditions Mnémos, je ne sais pas. Pour les autres, je leur recommande une sacrée dose de tolérance, car Michel Robert manie le burlesque aussi aisément qu'un manchot jongle avec des enclumes.
« Il y a deux années de ça, nous avons fait un séjour aux Amériques, pour le compte du Roi, raconta d'Artagnan. Il se trouve que pour diverses raisons, nous avons été adoptés par la tribu des Tétons Noirs, une peuplade mohican. Ouais, on a essayé chez les Loups-qui-Pètent, mais l'odeur était intenable. » (p. 46)
Les répliques, les situations et les gimmicks, tous les effets censés être comiques ne génèrent en fin de compte que l'accablement et un tiraillement nerveux des zygomatiques. Celui que l'on éprouve lorsqu'une connaissance lance une blague particulièrement lourde en pensant : mais quel con !
« Vous êtes beaux comme tout ! s'écria Joyeuse en battant des mains. Ça fait froid aux jambes ! se plaignit Athos. Y'a une bête qui m'a piqué le mollet ! glapit d'Artagnan. On va chopper la crève… ou la malaria ! garantit Porthos. Taratata ! rétorqua Joyeuse. C'est supermidable, j'ai toujours rêvé de voir des hommes en jupes ! » (p. 151)
On passera rapidement sur la trame épique qui s'avère surtout étique.
« Athos ? Joyeuse ? C'est quoi que je sens, là… ton épée ? Euh… non… pas vraiment mon épée… Athos ! Ce doit être Orion qui m'inspire, mentit le mousquetaire. » (p. 174)
Restent les personnages qui animent le « bidule » de Michel Robert. À vrai dire, ceux-ci ne sont même pas caricaturaux. Ils sont tout bonnement navrants. Les héros, d'Arty' le fougueux, Ramissou le puits de science, Porthos l'apprenti ninja et Athos le blondinet, auxquels viennent s'ajouter deux filles, Constance au regard habituellement malicieux et Joyeuse la Terreur de Sarlat (ouf ! Nous avons échappé à Henriette du Mans), tous brillent surtout par la beaufferie de leurs frasques lourdingues.
« Hé, Rochefort, va't'faire bouffer le sémaphore ! Rochefort, t'es qu'une tête de mort ! Rochefort, va chier dans le Bosphore ! Yo, Rochy, ta mère en slip devant la boulangerie !… Ben quoi, estima Porthos… ça rime, non ? » (p. 211)
Et leurs adversaires sont du même acabit. Otto von Bäästard le reître teuton, le condottiere Zorzo di Conti-Vizzini, Don Inigo Muerte l'écorcheur hispanique, ce trio constitue une belle brochette de fins de race pas plus dangereuse qu'un plat de bulots.
« En route, compagnons, lança d'Artagnan, notre Roi nous attend ! Nous allons à Versailles ? intervint Athos. Mais faut demander à Porthos ! Il connaît vraiment bien la route, hein Porthos ? Par contre, si on veut passer par Vélizy, alors là, je ne garantis rien… Nianianianiania ! marmonna le ninja. » (p. 295)
On est tout de même très étonné de voir surgir au milieu de cette pantalonnade Cellendhyll de Cortavar, le héros de L'Ange du Chaos. C'est le seul moment véritablement drôle du « machin » de Michel Robert, en particulier lorsque le guerrier solitaire fusille de ses yeux de jade l'ennemi, tout en recoiffant sa chevelure d'argent qui masque son teint halé et ses traits indéniablement charismatiques …
Bref, merci aux éditions Mnémos d'avoir le courage de publier les élucubrations piteuses de Michel Robert. On espère tout de même qu'elles permettront de dégager une marge bénéficiaire suffisante pour éditer un véritable écrivain…
« … Dans le couchant, s'éloignait une silhouette galopant sur un cheval pie. Non pas solitaire, mais, au contraire, poursuivie par la horde de ses amis courroucés. Aramis, tu sais où je vais te l'enfoncer, ton bouclier ? criait d'Artagnan. Le rectum, le rectum ! scandait Joyeuse. À donf', yaaah ! » (p. 351)
Eh oui ! Ça fait un peu mal au cul de terminer cette chronique ainsi.