Futur proche. Les années 2040… La France et le monde n’ont guère changé. À en croire nos deux romancières, Silène Edgar et Chantal Pelletier, c’est pareil… en pire. Comme chacun sait, l’enfer est pavé de bonnes intentions : la santé, l’écologie… Un monde voulu meilleur.
Dans Les Affamés, le roman de Silène Edgar, un brin uchronique, les luttes pour défendre la ZAD de Notre Dame des Landes ont débouché sur une révolution plus ou moins communiste où nul n’est plus censé être pauvre ni dans le besoin – un modèle qui n’a pas tardé à être dévoyé par des lois iniques, dites de Santé, notamment. La so-ciété est désormais divisée en cinq niveaux d’utilité qui sont autant de castes : prolétaires, techniciens, cadres subalternes (dits moyens), cadres sup’ et cadres directeurs, pour faire simple. Il y a aussi des inutiles et des esclaves immigrés qui n’existent officiellement pas. Les utiles de classe 1 vivent chichement et n’ont accès qu’à un minimum de soins. Ceux de classe 5 vivent comme des nababs, peuvent boire et fumer, manger gras et jouir de tout sans restriction, assurés des meilleurs soins possibles… Charles est un écrivain à succès, utile de classe 5, qui peut tout se permettre et ne s’en prive pas. Il boit comme un trou, fume comme un pompier. Tout irait bien s’il n’y avait Lebraz, un député qui envisage de réduire drastiquement la production littéraire et le nombre d’auteurs. Charles, dont les romans mettent en scène des personnages à son image – peu concernés par les lois de Santé, en somme –, se retrouve sur la sellette, étant considéré comme subversif par un système qui entend que les auteurs fassent sa propagande. Ainsi le voilà pris entre les feux croisés de Lebraz, qui lui demande de retourner sa veste, ses confrères auteurs, qui le veulent comme porte-parole, et ses parents qui voudraient le voir écrire à la mémoire de son frère, zadiste tué lors d’émeutes des années plus tôt… Sans parler de Salomé, dont il est amoureux, une activiste du groupe de Milo pour qui elle va se glisser dans son lit afin qu’il écrive pour eux.
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Bref, voilà deux exemples d’une anticipation sociale à la française. Deux romans aux intrigues qui font leur office sans s’avérer d’un intérêt spécialement remarquable, mais qui invitent le lecteur à s’interroger sur l’avenir de la société dans laquelle nous vivons. Silène Edgar questionne le rôle social de l’écrivain et, plus largement, celui de l’artiste. Chantal Pelletier, elle, demande comment préserver une certaine qualité de vie compatible avec les impératifs écologiques. Politiques sociales et de santé, agriculture bio, antispécisme, rôle de l’artiste, autant d’enjeux centraux auxquels se frottent nos autrices. Ces deux livres actualisent, dans une approche finalement assez politiquement correcte, des questions soulevées naguère par Carton blême de Pierre Siniac, même s’ils restent très en retrait d’un roman comme Corpus Delicti : un Procès, de l’Allemande Juli Zeh. Ce qui ne signifie pas qu’ils soient inintéressants.