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Les critiques de Bifrost

Les Amants du Ragnarök

Jean-Laurent DEL SOCORRO
ALBIN MICHEL
21,90 €

Critique parue en juillet 2025 dans Bifrost n° 119

Jórunn aime Hervor, mais la guerrière est tuée durant la bataille de Clontarf sans que la scalde aveugle puisse lui adresser ses adieux. Déterminée à réparer ce tort, elle décide de mettre à profit le seiðr que lui a enseigné Freyja pour rejoindre la Valhalle, où son amante combat inlassablement au côté des Einheriar avant de ripailler le soir venu à la table d’Odin. Iarnsaxa aime Thor, mais le dieu guerrier est fatigué des quêtes et des aventures. Le monde s’effondre et le héros de tant de sagas ne rêve plus que de la mort. Refusant d’entendre ce funeste destin, elle cultive son jardin au pied d’Yggdrasil, enterrant les dépouilles dans le sol durci par le gel de la plaine de Vígríd. Dans la morsure du froid du long hiver, la géante ne chôme pas un seul jour car les lointains royaumes humains de Midgard ne sont guère avares en guerriers et guerrières tombés au champ d’honneur. Il en faut d’ailleurs beaucoup pour se préparer à la lutte ultime contre les ennemis des Ases dont les forces s’amassent aux frontières. À moins qu’Iarnsaxa et Jórunn, alliée, ne puissent déjouer le destin avant que les Normes n’en aient tissé la trame implacable.

Avec Les Amants du Ragnarök, Jean-Laurent Del Socorro poursuit sa réécriture des mythologies européennes sous un angle queer et féministe. Après la matière de Bretagne (Morgane Pendragon, in Bifrost n° 110), il revisite l’univers des Eddas et des sagas, voire même leur déclinaison chez Marvel, à l’aune du Ragnarök et d’une romance épique. Ne tergiversons pas, le crépuscule des dieux nordiques dépeint par l’auteur français n’a rien d’une fresque wagnérienne. Aux accents pompiers des cymbales et des cors, il préfère les accords éthérés de la harpe, dont la mélancolie accompagne le périple de Jórunn et Iarnsaxa. Un voyage qui n’est pas sans rappeler celui d’Orphée — et dont le dénouement apocalyptique demeure le seul vrai moment épique d’un roman par ailleurs très plan-plan et répétitif. À vrai dire, on a un peu de mal à compatir aux tourments des deux héroïnes que seules les facéties de l’écureuil Ratatosk rendent supportables. Certes, Jean-Laurent Del Socorro confère à leur quête une tournure tragique, fin du monde oblige, convoquant le ban et l’arrière-ban de la mythologie et de la cosmogonie nordique. Mais Heimdal, Odin, Freyja, Loki, les Normes, les valkyries, Andhrímnir, Surt, les géants et tous les autres peinent à donner substance à un récit pour lequel on ne se passionne guère. Bref, il manque un véritable souffle pour succomber à la transe du seiðr et ainsi faire mentir l’ennui qui monte inexorablement. L’amateur de romantasy trouvera sans doute son compte à la lecture de Les Amants du Ragnarök, se réjouissant de la part plus importante accordée aux femmes dans un corpus de fictions souvent attaché aux représentations masculines stéréotypées, souvent empreintes d’un paganisme dévoyé par une interprétation réactionnaire. Il faut toutefois reconnaître que l’ambition reste ici très modeste et que l’on demeure au final sur sa faim. Avis aux amateurs.

 

Laurent LELEU

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