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Les critiques de Bifrost

Les Amazones de Bohème

Les Amazones de Bohème

Joëlle WINTREBERT
ROBERT LAFFONT
298pp - 19,00 €

Bifrost n° 42

Critique parue en mai 2006 dans Bifrost n° 42

Libuse, reine dans la Bohème du VIIIe siècle, est une habile diplomate qui a su contenir les belliqueuses ardeurs masculines, abolir l'esclavage et imposer l'égalité entre les sexes, notamment en s'entourant d'une garde de filles. Danna, conseillère avisée, est à la fois irritée et fascinée par leur capitaine, l'énergique Wlasta, une ancienne esclave qui a progressivement gravi les échelons de la société. Pour empêcher la venue des armées de Charlemagne évangélisant les pays voisins à la pointe de l'épée, Libuse accepte la présence de deux missionnaires dans sa communauté. Mais, malade, elle meurt prématurément, et son mari Premysl, paysan peu fait pour gouverner, revient progressivement sur les réformes de son épouse. Refusant ce retour en arrière, Wlasta s'en va fonder, en compagnie d'épouses fuyant la violence de leurs maris, une cité indépendante, uniquement dirigée par des femmes, où les hommes vivent à l'extérieur de l'enceinte. Premysl s'accommode mal de cette sécession et cherchera à mâter ces rebelles, alors que, déçue par les maigres résultats des évangélistes qui ont pourtant réussi à se faire accepter en ces lieux, l'Eglise envoie les troupes de Charlemagne en Bohème…

Certes, il s'agit d'un roman historique, mais il est dû à une de nos plus belles plumes de l'imaginaire francophone et n'est pas sans parenté avec la science-fiction, la cité de Wlasta constituant un bel exemple d'utopie, même si celle-ci, véridique, ne dura que le temps d'un feu de paille et s'acheva de façon tragique.

On comprend que cet épisode fameux (peu connu en France mais célèbre plus à l'Est, Libussa servant à désigner en Allemagne des associations lesbiennes), par l'étonnante ouverture d'esprit de cette cité dirigée par des femmes, sa tolérance, sa liberté de mœurs prônant l'amour libre et autorisant l'homosexualité, ait incité Joëlle Wintrebert à le reprendre à son compte, même s'il fut déjà traité par Christiane Singer dans La Guerre des filles. Elle le fait avec beaucoup de sensualité, manifestant une grande tendresse pour ses personnages, si complexes et attachants qu'ils resteront longtemps dans les mémoires. La langue, par ses tournures et son vocabulaire, nous plonge davantage dans l'atmosphère de cette Bohème du VIIIe siècle que Joëlle Wintrebert, qui s'est déplacée jusqu'à Prague pour sa documentation, plante avec une précision et un souci du détail exemplaire. Un grand roman, vraiment !

Claude ECKEN

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