Sean MCMULLEN
LIVRE DE POCHE
7,10 €
Critique parue en juillet 2004 dans Bifrost n° 35
En Australie. 2000 ans après le Grand Hiver, une glaciation provoquée par les activités humaines.
Un univers post technologique reconnaissable quoique différent. Un monde sans électricité ni radio à cause de satellites militaires toujours opérationnels qui détruisent ce type d'installations. Un monde régulièrement balayé par l'Appel, un étrange phénomène qui attire bêtes et hommes vers le Sud et la mer où ils se jettent comme des lemmings. Une société plus ou moins féodale, divisée en une multitude de mayorats guerroyant d'enthousiasme les uns contre les autres et parcourue de trains à éoliennes ou à pédales. Le duel, pratiqué à la française, considéré comme un moyen de promotion légitime, y réglant les conflits sociaux ou professionnels. Les bibliothécaires dragons, c'est-à-dire bibliothécaires et pistoleros, constituent une caste importante qui, sous l'impulsion de Zarvora Cybelline, va devenir dominante. Cette jeune femme géniale a découvert qu'une fabrique automatisée, sur la Lune, créait un voile de nanomachines autour de la Terre pour réfléchir chaleur et lumière solaires. Elle décide donc de se hisser au pouvoir pour parer à la menace d'une nouvelle glaciation…
Voilà un monde original que l'on placera non loin d'Un Cantique pour Leibowitz de Walter M. Miller sans que Les Âmes dans la grande machine ait pour autant une envergure comparable. C'est avant tout un livre d'action. Roman politiquement correct, il prend le contre-pied de la S-F de années 40/50 où les femmes ne servaient que de faire valoir aux héros. Bien que géniaux, tous les personnages sont antipathiques, tous les personnages masculins sont de fieffés pauvres types : Nikalan, Glasken, Ilyire, Tarrin, Jefton, Denkar… Par ailleurs, derrière les bonnes intentions des sauveurs du monde, le livre véhicule des idées sociales plutôt douteuses, c'est à dire totalitaires. La fin justifie les moyens et l'arbitraire de la raison d'état s'impose. Le pouvoir doit rester à ceux qui ont la force de s'en emparer et pour qui les masses oscillent entre les statuts de viande et d'outil.
Des raisons qui font que le monde de McMullen est un lieu éminemment intéressant, à savoir les vagabondes, l'Appel et la menace de glaciation représentée par le soleil miroir, seule la première est explicitée avec toute l'attention voulue. Les deux autres sont traitées par-dessus la jambe. Sean Mc Mullen préférant s'étendre sur les conquêtes amoureuses de Glasken, personnage qui aurait au moins pu s'accorder une fin tragique pour acquérir une certaine dimension héroïque. Mais non… Sans parler des batailles et autres duels.
De nos jours, Les Âmes dans la grande machine se verra malgré tout accorder une mention assez bien mais, comme de coutume, il aurait gagné à être sérieusement dégraissé. Ainsi, nous aurions pu espérer un seul et unique volume. 42 euros les 624 pages, c'est trop cher payé pour un livre qui ne sort pas de l'ordinaire. Cette pratique éditoriale qui tend à se généraliser (Passage, de Connie Willis en J'ai Lu « Millénaires » ; Perdido Street Station, de China Miéville au Fleuve Noir, ou encore Les Puissances de l'invisible de Tim Powers chez Denoël) est inacceptable pour le lecteur, lequel paie des bouquins qui seraient bien meilleurs s'ils étaient moins cher, moins gros. À défaut d'être à éviter, Les Âmes dans la grande machine n'a rien d'une priorité…