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Les critiques de Bifrost

Les Âmes de feu

Annie FRANCÉ-HARRAR
BELFOND
224pp - 21,00 €

Critique parue en janvier 2025 dans Bifrost n° 117

Voici un roman exhumé du cimetière littéraire plus d’un siècle après sa parution allemande originale, en 1920. L’autrice, biologiste, publia abondamment en son temps et donna nombre de conférences sur l’épuisement des sols par l’agriculture, le compostage et le recyclage des déchets organiques. Si elle est aujourd’hui oubliée, c’est qu’Annie Francé-Harrar n’a rien inventé. Elle a toutefois théorisé et permis l’optimisation de pratiques empiriques concomitantes à l’agriculture — ce qui n’est déjà pas rien.

Bien qu’étant l’œuvre d’une scientifique, ce roman est loin de ce que l’on appelle aujourd’hui la hard science. L’idée centrale est que la civilisation va détruire l’humanité et la nature, selon un joli ramassis de co­quecigrues. Fin qui, pour Henrik, à l’instar de certains écolos contemporains, n’est pas malheureuse mais méritée. Elle aurait pu imaginer un effondrement agricole dans un monde tel que celui des Monades urbaines de Robert Silverberg, par épuisement des sols. Mais tout au contraire, dans ce roman, on abandonne l’agriculture qui est la cause probable de bien des problèmes environnementaux actuels. Ainsi y tire-t-on l’alimen­tation de l’azote, élément sur lequel de nombreux espoirs furent à l’époque fondés — puis déçus. Las, le roman est perclus d’incohérences. Ainsi, c’est au moment où l’on cesse leur surexploitation que les sols meurent. On y lit que les plantes, fussent-elles des transgènes, périssent par manque d’oxygène alors que quelqu’un féru de biochimie, à l’instar de la roman­cière autrichienne, ne pouvait ignorer que la photosynthèse libère de l’oxygène ; chose con­nue depuis le xviiie siècle. Les âmes de feu du titre sont des créatures ignées, surgies d’on ne sait où ; le roman entendant de manière implicite la responsabilité de l’humanité. Et puis, à la fin, alors que quelques poignées de pauvres hères se sont réfugiés en montagne, les plaines semblent couvertes de magma comme la Sibérie centrale voici 251 millions d’années, alors que se préparait la plus effroyable des extinctions de masse, celle dite Permien-Trias…

En ouverture du roman, la société n’est pas sans évoquer celle de L’Âge de cristal. Et bien que l’on y travaille que trois heures par jours, elle n’a rien d’utopique. C’est un régime autoritaire tel que la réalité n’allait pas tarder à s’en doter — en pire ; les fonctionnaires, imbus de leur fonction, y étant d’une stupidité caricaturale. Les humains ne sont plus capables que de vivre dans leurs cités civilisées honnies par Francé-Harrar. En phase avec son époque, elle rejette l’intellectualisme comme une posture produisant des êtres faibles et inadaptés, au profit d’un culte du corps et d’une vigueur paysanne (ici) que l’on retrouvera (barbare) chez son contemporain étatsunien Robert E. Howard. À l’urbanisme, elle préfère une vie rurale idéalisée à l’extrême comme saine et naturelle, digne d’une brochure des Témoins de Jéhovah sur le retour au Jardin d’Éden, ou comme l’avait illustrée Doris Lessing dans Shikasta.

 

 

Jean-Pierre LION

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