Nicolas LE BRETON
LES MOUTONS ÉLECTRIQUES
328pp - 22,00 €
Critique parue en janvier 2015 dans Bifrost n° 77
Parfois, à la rédaction, on n’est pas d’accord. Imaginez la scène quand on a reçu ce livre… Certains se réfugiaient derrière leur bureau, en maugréant, « Quand est-ce que les Moutons électriques vont sortir un livre sans coquilles ! », tandis que d’autres criaient leur joie devant la beauté incroyable de l’objet (bravo à Melchior Ascaride). Le rédacteur en chef a pointé le bout de son nez, puis, rassuré de voir que ce tapage n’était pas causé par une visite impromptue de monsieur De Mesmaeker, est retourné prestement dans son antre, me glissant au passage : « Tu aimes le steampunk, petit. Ce livre est pour toi. »
Les Âmes envolées est une uchronie steampunk qui commence par un court prologue. En 1912, Louis Lépine, préfet de Seine et fondateur du concours éponyme, participe à l’assaut final contre la bande à Bonnot, lors d’un ultime affrontement aérien. Puis les corps des bandits sont promptement escamotés de la morgue pour être objets d’une opération chirurgicale aussi mystérieuse que contre nature. Nous retrouvons ensuite Lépine jeune retraité de la police, que l’on appelle à la rescousse pour une dernière enquête : des scientifiques de renom disparaissent, probablement enlevés par une organisation secrète allemande… À partir de ce moment, le roman choisit le rythme de la course-poursuite effrénée, allant de la France au Tibet, pour finir dans les tranchées de la Première Guerre mondiale. Autour de Lépine se constitue progressivement un groupe hétéroclite, à la tête duquel se trouve la mémorable Léontine, baronne de Laroche, première femme pilote au monde ! Du roman populaire, nous avons les péripéties et les retournements de situation. Le péril est toujours présent, et peut surgir à chaque instant. Le méchant est impitoyable jusqu’à la folie. Seuls leur valeur et leur sens du sacrifice permettent à nos héros de triompher des plus sombres dangers. L’exotisme et l’émerveillement verniens sont également de rigueur. Nicolas Le Breton assume cet héritage, écrivant dans une langue riche en préciosités stylistiques, avec un goût évident pour le mot rare et la métaphore décadentiste.
Le roman est très généreux, racontant beaucoup, multipliant les épisodes. Il aurait peut-être gagné à être un peu plus resserré dans la narration de certains passages de transition. Mais le monde de « Pax Germanica » est vaste, l’auteur évidemment désireux de le parcourir et de le faire découvrir.
Loin des brumes londoniennes et des clichés steampunk, du moteur à vapeur aux héroïnes en corset, le roman se déroule dans un monde où la science a juste fait un pas de côté par rapport au nôtre, entraînant par conséquent le développement considérable des transports aériens. Une petite dose de science-fiction permet l’apparition d’une science déviante, entraînant la création de « réÂmnimés », sorte de zombies aussi puissant que dépourvus de sentiments, mais aussi nombre de machines surprenantes, dignes d’Albert Robida, permettant des voyages lointains, des combats aériens, mais aussi des poursuites souterraines !
Le steampunk francophone a une identité unique et une saveur immédiatement reconnaissable. Que les auteurs qui veulent s’y frotter ne l’oublient surtout pas : ce roman indique la voie.