Pierre PELOT
J'AI LU
288pp -
Critique parue en janvier 2016 dans Bifrost n° 81
En tant que lecteur, très peu de fois j’ai eu la sensation que l’auteur du livre que je tenais entre les mains se trouvait là, à côté de moi, silencieux et bienveillant, m’accompagnant au long du voyage par sa réalité d’être humain et la puissance de son talent d’écrivain. Il y aura eu Wells, Dick, Ballard, Shepard. Et aussi Pierre Pelot. Pour sa science-fiction pertinente et toujours, toujours à hauteur d’homme. Les Barreaux de l’Éden ne déroge pas à la règle.
Dans un futur éloigné où, grâce à l’inventeur d’une drogue, on est en mesure de parler à ses défunts, validant ainsi la notion même d’âme immortelle et d’au-delà, la société, devenue planétaire, est divisée en trois classes génétiques, définissant chacune les limites intellectuelles de leurs sujets respectifs : À, l’élite dominante, B, les intermédiaires chargés d’encadrer la classe laborieuse C. Les Barreaux de l’Éden croise ainsi le destin de quatre personnages : Jov, un ouvrier de la classe C, Baher, un cadre B dont l’heure de la retraite a sonné et qui s’apprête à aller rejoindre sa femme dans l’au-delà, Jedith, une chanteuse A mondialement connue, Hert, transfuge de la classe B vers la classe A – promotion très rarement accordée par l’élite et qu’il aura gagnée à son seul mérite –, et enfin Costerman, un ponte de la classe A. Tout ce petit monde finira par trouver sa raison d’être et sa finitude, en miroir les uns des autres.
Comme toujours chez Pelot, la construction du récit est implacable et d’un équilibre sans faille, le tout magnifié par un style insolent de liberté et la présence forte, tout au long des pages, de la voix d’un auteur fascinant qui nous entraîne là où il l’a décidé, et seulement là. Le cauchemar peut donc avancer, presque tranquille. Et la charge sociale autant qu’humaine n’a rien perdu de son acuité, ni de sa triste probabilité future. La démonstration du talent, ni plus ni moins.
À sa façon, dès 1977, Les Barreaux de l’Éden préfigure, avec quelques autres titres – notamment Canyon street –, le cycle des « Hommes sans futur » qui, quatre ans plus tard, en 1981, enrichira d’un jalon indiscutable l’histoire de la science-fiction française. Et dont la lecture m’a profondément marqué.