Yann BÉCU
L'HOMME SANS NOM
296pp -
Critique parue en octobre 2019 dans Bifrost n° 96
En 2050, une très curieuse épidémie de sommeil se répand sur la planète : un mal étrange ampute ceux qui en sont victimes d’une ou plusieurs heures de veille. Pour les plus chanceux, la situation évolue peu, ou lentement, une heure perdue de-ci de-là. Quant aux autres, ils se retrouvent tout à coup à dormir une bonne partie de la journée, ne disposant donc plus que d’une poignée d’heures à consacrer à leur vie sociale et professionnelle. D’autant que la maladie évolue en permanence – on a tôt fait de basculer de la catégorie chanceuse à la classe déveine…
Pascal Frimousse est professeur de français à Prague. Il fait partie des nantis, puisqu’il équilibre à parts égales sa journée entre éveil et sommeil. Cela lui permet de conserver une vie sociale importante, mais aussi de se voir confier des missions que son temps actif l’autorise à mener à bien. Ainsi se retrouve-t-il bientôt chargé par le ministère de la défense d’enquêter sur la disparition d’un savant génial qui menait des recherches sur morphéus, la fameuse épidémie.
Le postulat de départ de ce premier roman, œuvre d’un professeur de français vivant à Prague – la crédibilité du décor des Bras de Morphée n’y est sans doute pas étrangère –, est pour le moins original, une idée lumineuse qui offre un vrai ressort dramatique et des possibilités de développement importantes. Sans essayer de vouloir comprendre l’origine du mal qui s’est abattu sur Terre, Yann Bécu s’intéresse davantage à ses répercussions sur la vie quotidienne. Difficile, voire impossible, de maintenir des relations sociales à l’identique quand vous ne croisez plus votre femme qu’une heure par jour, que vos élèves sont aux trois quarts absents de vos cours, ou que vous ne disposez que de quelques minutes pour l’essentiel (manger) avant de vous rendormir… Le principal écueil d’un récit bâti sur une idée centrale forte, c’est l’incohérence ou le fortuit sorti de nulle part. Or, Bécu évite ce travers en nous proposant un développement logique de bout en bout. Avec toutefois un bémol concernant la fin, un brin décevante au regard de tout ce qui l’a précédé, comme si l’auteur avait échoué à finir son roman sans éviter une pirouette. Dommage…
L’autre caractéristique qui se dégage ici, c’est la langue, et notamment les dialogues, ciselés et qui font plutôt mouche – ce qu’il convient de souligner, surtout dans le cadre d’un premier roman, et ce jusque dans le registre de l’humour, parfaitement maîtrisé ; une gageure dans un cadre pour le moins dramatique.
Une jolie surprise, donc, que ces Bras de Morphée (en dépit d’un titre convenu) : une idée intéressante bien exploitée, des personnages campés avec réalisme, assez hauts en couleur et servis par un style affirmé qui fait la part belle aux dialogues enlevés. Oui, à l’évidence, Yann Bécu fait ici une entrée remarquable, sinon remarquée, dans le petit monde de l’Imaginaire français.