[Critique commune à Le Khan blanc, Les Centaures et Le Serpent Ourobouros.]
L’excellente collection « L’Âge d’or de la fantasy » livre sa deuxième salve : au programme, trois livres précieux, chacun dans son registre.
Après Le Loup des steppes, nous retrouvons Khlit le Cosaque, personnage fétiche de Harold Lamb, dans Le Khan blanc. Il ne s’agit toujours pas de fantasy à proprement parler, mais l’influence de cette œuvre sur certains pionniers du genre, au premier chef Robert E. Howard, saute aux yeux. Dans ces trois novellas, le vieux Khlit devient le grand khan des Tatars, ce qui n’a rien d’une paisible retraite : aux confins de l’Asie, nous le voyons lutter contre un général chinois avide de vengeance, ou faire les frais des manigances des chamans de son peuple d’adoption aussi bien que des sbires du dalaï-lama. Le héros vieillissant, chrétien dissimulé, ne pourra triompher de cette adversité qu’en faisant appel à la ruse, car les capacités martiales ne suffisent pas. Lamb est un maître de l’aventure pulp ; on le sent prendre beaucoup de plaisir à user de ce cadre exotique qui le passionne. Trois récits hauts en couleurs et palpitants, dans des registres variés, qui séduiront sans peine les amateurs de Conan et compagnie ; en fait, répétons-le : c’est probablement bien meilleur…
De ces nouveaux titres, le plus inattendu est Les Centaures, roman français de 1904 – rétrospectivement un des premiers du genre. L’auteur, André Lichtenberger, n’est pas un inconnu, mais ce roman avait été oublié après une ultime réédition de 1924, illustrée par Victor Prouvé (dont le travail est ici reproduit). L’auteur y décrit un univers préhistorique fantasmé, où trois races nobles empruntées à la mythologie grecque, les centaures, puis les faunes et les tritons, voient leur monde bucolique s’écrouler sous les assauts des « impurs » que sont les humains, qui volent leur fourrure aux autres animaux et inventent de bien curieuses machines… Mais notre point de vue est bien celui des centaures engagés sur la voie de l’extinction. La préface de l’auteur (datant de la réédition après 14-18…) effraie un peu, avec son leitmotiv « famille, race, patrie », et il y a bien quelque chose de réactionnaire dans l’utopie des centaures. Néanmoins, le roman s’avère en fait bien plus subtil qu’il n’en a l’air, et bénéficie d’un souffle admirable, se déployant en tableaux majestueux, ceux d’une nature luxuriante comme ceux du destin apocalyptique des centaures. Une très étonnante et très convaincante redécouverte.
Ultime ouvrage de cette fournée, et sans doute le plus attendu : le premier volume (hélas, le roman a dû être coupé…) du Serpent Ouroboros, un classique datant de 1922, à l’influence remarquable, et qui, pour quelque raison étrange, n’avait jamais eu l’heur d’une traduction française. Nous sommes sur la planète Mercure, déchirée par la guerre qui oppose la Démonie et la Sorcerie (des humains en définitive). La fourberie des Sorciers accule les Démons à leur perte, après avoir fait disparaître par magie un de leurs plus fameux éléments, par ailleurs le frère du roi Juss – lequel abandonne son pays aux abois pour accomplir la quête épique qui lui permettra de retrouver son compagnon de toujours… « Objectivement », c’est bourré de défauts. Dans la construction de monde, c’est aux antipodes de Tolkien, avec bien trop de rappels à notre propre Terre, et en même temps un exotisme un peu je-m’en-foutiste (dans les noms propres) ; la trame générale, classique et d’inspiration nordique, avec de nombreuses ellipses, souffre de la même sensation de patchwork ; les personnages sont autant de brutes épaisses, une simple pique concernant leur bravoure suffit à les pousser aux pires sottises (sauf l’excellent Gro, qui anticipe peut-être Tyrion Lannister) ; le style erre souvent, l’archaïsme de l’original ne ressortant guère du texte français, mais on n’en oscille pas moins entre des dialogues nerveux et jubilatoires, et des descriptions bien lourdes à force d’omniprésentes pierres précieuses qui semblent orner le moindre objet sur Mercure… Et pourtant, ça marche. Très bien, même. C’est clairement une aventure qui fait appel à la passion – la raison, qui pointe trop de défauts, est hors-concours, c’est enthousiasmant, c’est palpitant, et on a vraiment hâte de lire le volume II ! En espérant qu’il ne faudra pas attendre trop longtemps…
Callidor est une bénédiction, pour ne pas dire un miracle. Ces trois nouveautés, toujours illustrées (très beau travail pour le Lichtenberger et le Eddison, moins pour le Lamb, s’il y a eu des progrès par rapport au premier tome), sont toutes très bonnes, et l’on ne peut que saluer, aussi bien l’exhumation de ces Centaures injustement oubliés, que la traduction, enfin, du classique Serpent Ouroboros.