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Les critiques de Bifrost

Les Cercles de l'épouvante

Les Cercles de l'épouvante

Jean RAY
LIBRAIRIE DES CHAMPS-ÉLYSÉES

Bifrost n° 87

Critique parue en juillet 2017 dans Bifrost n° 87

Le rond d’une pipe : voilà comment s’achève le recueil. Une pipe et un cercueil. La dernière nouvelle justifie et illustre le titre de l’ouvrage. Baxter-Brown, pauvre médecin à la chiche clientèle, se procure un manuscrit qui le conduit, sous couvert d’une effraction, à retrouver le Miroir noir, titre de la nouvelle, ayant appartenu au savant, alchimiste et astrologue John Dee. Mais, malgré ses efforts, Baxter-Brown ne parvient pas à l’utiliser, à faire que ce dernier lui révèle l’antre des trésors qui le rendraient riche. Et pourtant, au cours d’une nuit d’expérience, sa pipe, sa précieuse pipe, Polly, disparaît. Il ne la retrouvera qu’à l’issue de la nouvelle : « Ah? ! la salope, elle m’avait volé ma pipe? ! », s’exclamera-t-il en mourant. Attention, il ne faudrait pas, par cette unique injure, conclure à la vulgarité des récits : ce ton particulier participe pleinement de l’esthétique et de l’optique des nouvelles –, c’est la mort, la même que le pauvre et naïf narrateur du « Cimetière de Marlyweck » rencontre en suivant son ami Peaffy dans des espaces sans lieu où les tombes, une fois à droite, vous bloquent ensuite le chemin du retour. Il s’agit alors d’une gigantesque statue de bronze, hideuse, tenant un sablier, et, l’instant d’après, une faux. À son insu, il la ramènera avec lui. Mais la « salope », c’est aussi l’horreur, qui enferme ses victimes dans les cercles de l’épouvante, cercles magiques dans « Le Miroir noir », cercles interdits aux hommes, mais aussi cercles humains, faits de briques rassurantes. C’est aussi l’horreur enfermée et gare aux imprudents qui briseraient les scellés à l’instar des brigands, poussés par la curiosité, qui déverrouillent la porte de « L’Auberge des spectres ». Le brigandage est d’ailleurs un thème récurrent du recueil? ; il apporte le malheur, car le cercle à ne pas briser, c’est peut-être celui de la propriété – « L’Assiette de Moustiers ». Propriété légale, propriété du corps. « La Main de Goetz von Berlichingen », appendice d’un feu chevalier, est retrouvée par quelques imprudents qui, redoublant d’audace, ouvrent la cage dans laquelle elle était enfermée? ; la main devient meurtrière (la hantise de la main meurtrière, et sans corps, est récurrente). L’homme doit alors rester à sa place, ne pas franchir les limites, se garder du monde des morts, du monde interdit et d’effacer le cercle qui l’en protège car, dans le cas contraire, de chasseur, il devient chassé, à l’image de « L’Histoire du Wûlkh ».

Matthieu LOTTIAUX

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