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Les critiques de Bifrost

L'Épreuve de l'ange

L'Épreuve de l'ange

Anne RICE
MICHEL LAFON
224pp - 20,90 €

Après de longues années à revendiquer l’athéisme, Anne Rice retourne à l’église catholique en 1998, mais la quitte finalement en 2010 à cause de l’intolérance de l’institution envers l’homosexualité. Son diptyque « Les Chansons du Séraphin » date de cette période, durant laquelle elle se convertit à une foi « indépendante ».

Après avoir parlé de créatures déviantes durant toute sa carrière littéraire, Anne Rice se concentre ici sur le divin et la pureté de l’âme humaine. En deux tomes, elle brosse le portrait d’un tueur à gages, Toby, nom de code « Lucky le Renard », coupé de sa spiritualité et qui va rencontrer un ange. Celui-ci va l’envoyer en mission, non pour tuer, mais pour protéger, bouleversant son rapport à lui-même, au monde et à Dieu.

La première moitié de L’Heure de l’ange est accrocheuse en dépit d’un style un peu ampoulé (la traduction ?) : Lucky partage son quotidien, ses lubies hôtelières, son amour pour certains lieux de culte et ses manies de travail, laissant planer juste ce qu’il faut de mystère quant à son commanditaire, « l’Homme Juste », pour donner envie de découvrir le reste de cette histoire. Apparaît alors Malchiah, un Ange/Séraphin qui nous plonge dans le passé pour découvrir l’enfance difficile de notre héros, son courage pour s’en sortir malgré une mère alcoolique, ses débuts de tueur, son rapport à la musique.

Dans la deuxième partie de ce premier tome, Malchiah a besoin d’un « instrument humain » dans le passé, et Toby, car Lucky a disparu dans les limbes (bye-bye la carapace de tueur sans âme), plein de ferveur religieuse et d’expiation, veut plaire à Dieu comme à l’ange. Il fonce sans plus de questions et le voilà au Moyen Âge, avec une tonsure et à la rescousse d’un couple de Juifs que des Chrétiens en colère s’apprêtent à massacrer (pour une raison qui paraît des plus tordue à une personne du xxie siècle, mais « valable » à l’époque). Au retour de cette mission qui semble n’avoir été qu’un rêve, Toby découvre qu’il a un fils dont il ignorait l’existence et… fin.

Plus court d’une centaine de pages, L’Épreuve de l’ange se base sur le même principe : début dans le présent du héros, puis mission dans le passé. À nouveau pour sauver des Juifs, mais cette fois durant les guerres de religion à la Renaissance. Toby va même rencontrer un démon et connaître la Tentation. Puis il revient dans son présent pour être confronté à une victime de sa vie de tueur. Cliffhanger… mais pas de tome 3.

Il est aisé de distinguer de nombreuses étapes dans l’œuvre d’Anne Rice. Elle a exploré les grandes facettes de l’âme humaine par le genre fantastique et le roman historique, faisant beaucoup de recherches pour un meilleur réalisme. Ces deux romans angéliques étaient un cap à passer, sans doute un besoin pour l’autrice de développer son approche de la spiritualité de façon claire et bienveillante via la rédemption d’un tueur. S’il y a peu de descriptions de lieux, il y en a beaucoup des sentiments, et on ne peut nier la ferveur d’Anne Rice.

Au bout du compte, ces « Chansons du Séraphin » ne sont pas mauvaises, mais elles s’avèrent assez fades, imprégnées d’une religiosité et d’une spiritualité aveugle qui frustreront l’éventuel agnosticisme de tout lecteur. Excessivement rapides, les missions dans le passé se résolvent dans beaucoup trop de ferveur religieuse, créant une véritable rupture narrative avec le présent du héros au sein duquel les enjeux sont bien différents. Quant aux anges… bon, pourquoi pas. Le plus frustrant sera in fine Lucky/Toby lui-même, qui, en retrouvant la foi, change complètement de personnalité et casse ainsi l’image initiale.

En bref, l’ensemble se lit, intéresse au début, avant qu’on ne fasse plus que lever les yeux au Ciel (c’est de circonstance !) en attendant la fin… qui n’existe donc pas – dommage. Les deux premiers tomes sont de toute façon indisponibles en neuf (bien qu’assez facilement dénichables en occasion). Pas grave, car nous ne nous trouvons certainement pas en présence de la meilleure porte d’entrée de l’œuvre d’Anne Rice. Sauf à aimer les anges…

Mélanie DAUBIÉ

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