Sur Thalassa, petite colonie fondée sept siècles auparavant par un vaisseau-semeur dans l’espoir que des humains survivent à la mort de la Terre, les habitants mènent une vie sereine, indolente même. Parce qu’il y a d’autres choses plus importantes, ou simplement plus amusantes à faire, la grande antenne parabolique permettant les communications très longues distances attend depuis quatre cents ans d’être réparée et le réseau de communication locale n’est jamais opérationnel à plus de 95%. « Les ingénieurs appelaient cela une élégante déchéance, une expression qui, déclaraient quelques cyniques, décrivait assez exactement le mode de vie lassan. » Mais voilà le temps du changement.
De l’espace surgit le Magellan, vaisseau transportant un million de rescapés choisis parmi les dix millions d’habitants qu’abritait la Terre avant d’être balayée par l’explosion de son Soleil. Thalassa ? Une étape prévue de longue date, nécessaire à la réparation de son bouclier d’ablation (en glace) érodé, avant de rejoindre une planète hostile qu’il reste à terraformer. Pendant ce temps, dans l’immense océan encore à explorer faute d’assez de volontaires, des ancres disparaissent et des nasses métalliques sont détruites. Ces deux événements vont être à la source de bien des découvertes.
Les Chants de la Terre lointaine peut se lire comme une histoire de premières rencontres, entre Terriens et Lassans tout d’abord, puis entre humains et Scorps, espèce de scorpions géants peuplant les fonds océaniques. Fascinés par le métal qui leur tombe du ciel, ils pourraient bien être une espèce extraterrestre intelligente en devenir avec laquelle les Lassans devront composer. C’est aussi l’histoire d’une rencontre amoureuse entre Mirissa, jeune Lassane dont l’esprit brillant trouve trop rarement d’interlocuteur à sa hauteur, et Loren, ingénieur capitaine de corvette.
Mais c’est peut-être plus encore l’histoire de la rencontre entre Mirissa et Kaldor, vieux philosophe qui pleure la mort de sa femme sur Terre. Fruit d’une expérience éducative contrôlée, la population de Thalassa constitue un fascinant terrain de jeu et Mirissa un parfait sujet d’étude autant qu’une confidente. Élevés pour les premiers d’entre eux par des machines sans aucun contact avec des Terriens, leur accès au savoir a été délibérément dirigé et les Lassans disposent d’une bibliothèque au contenu sélectionné avec soin : riche en connaissances scientifiques, dotée des ressources utiles pour développer une pensée rationnelle et la démarche scientifique, elle ne contient aucune œuvre religieuse ou en rapport avec la violence et « les passions destructrices ». Ces conditions ont-elles faits d’eux des athées ? Quel impact cette éducation et cet environnement ont-ils sur le développement de leur art, de la littérature et de la science ? Quel rapport au corps et au politique entretiennent-ils ? Quels éléments culturels présents dans le vaisseau leur transmettre ? Faut-il limiter les perturbations culturelles ou au contraire insuffler des idées nouvelles ? Que leur répondre à la question « qu’est-ce que Dieu ? »
Une histoire d’amour, une tragédie, une rencontre extraterrestre, un ascenseur spatial, une réflexion sur le rôle de l’éducation et de l’environnement sur la formation d’une société et son rapport au religieux, à l’art, aux sciences, une mutinerie, un concert d’adieu des terriens « pour rappeler le passé et donner de l’espoir pour l’avenir »… Clarke nous sort le grand jeu. Et quand Manchu se met de la partie pour la réédition du roman chez Milady, inutile de résister : vous n’avez pas encore ouvert Les Chants de la Terre lointaine que vous êtes déjà sur Thalassa, cette planète bleue d’une beauté tranquille devant laquelle un vaisseau majestueux reçoit les premiers rayons d’un soleil inconnu. Est-ce un air de valse que j’entends au loin ?