Dan SIMMONS
LIVRE DE POCHE
448pp - 7,60 €
Critique parue en janvier 2021 dans Bifrost n° 101
[Critique commune à Nuit d'été et Les Chiens de l'hiver.]
Pour qui veut être exhaustif, le cycle de « Elm Haven » commence par Nuit d’été et se poursuit dans trois romans mettant en scène tout ou partie des personnages : Les Fils des Ténèbres, Les Feux de l’Éden et Les Chiens de l’hiver. Pourtant, seuls le premier et le dernier roman se déroulent dans cette bourgade fictive de l’Illinois qu’est Elm Haven. Tous deux ont comme personnage central Dale Stewart, enfant dans le premier, adulte vieillissant dans le second. Plus de dix ans séparent la publication des deux livres, mais cela pourrait être toute une vie tant ils diffèrent.
Nuit d’été se base sur le même genre de trame que le célébrissime Ça de Stephen King, paru quelques années plus tôt. Dans les années 60, les élèves d’une petite ville de la campagne américaine sont confrontés à un mal innommable et doivent l’affronter sans pouvoir faire appel aux adultes. Là où Stephen King a son club des Losers et les vallons du Maine, Dan Simmons a sa cyclo-patrouille et les plaines couvertes de champs de maïs de l’Illinois. Nuance notable entre les deux : dans Nuit d’été, l’action reste confinée à l’été 1963 et tous les protagonistes n’atteindront pas l’âge adulte. L’ennemi n’y est pas une entité venue d’ailleurs, mais un antique dieu égyptien mis à contribution depuis des millénaires par des hommes cupides voulant s’assurer prospérité et longévité. Si la mythologie égyptienne et l’histoire de Rome à la sauce Dan Simmons n’ont que peu à voir avec ce qu’en rapportent les textes ou la réalité historique, Nuit d’été est un vrai bon roman d’horreur. En mélangeant le glauque des années 60, ses secrets de familles et ses mœurs hypocrites, à des bâtisses hantées, des êtres possédés, des zombies et autres fantômes, ce récit qui se lit d’une traite parvient à flanquer la frousse, même aux plus aguerris des lecteurs. Le Dan Simmons de 1991 trouve ici le parfait équilibre entre le portrait acerbe d’une société campagnarde clivée, très stratifiée, et les éléments de pure horreur.
Hélas, le Dan Simmons de 2002 n’est pas celui de 1991 ; Les Chiens de l’hiver échoue à reproduire la recette miracle. Dale Stewart a vieilli, et même très mal vieilli (à l’image de son créateur ?). Devenu professeur de littérature et écrivain pour suivre les traces de son défunt ami Duane, il est en plein divorce, sa maîtresse l’a quitté et son université va le virer. Il rentre donc à Elm Haven le temps d’une année sabbatique pour écrire le seul « bon livre » de sa carrière. Là, il sera confronté à des fantômes et des apparitions, inspirées cette fois-ci des légendes celtes et de Beowulf. À moins que, dépressif ne prenant pas correctement ses médicaments et rongé par la culpabilité, il n’ait halluciné ces phénomènes. Moitié plus court que Nuit d’été, Les Chiens de l’hiver semble paradoxalement deux fois plus long et confus. Le narrateur change plusieurs fois, l’histoire de Dale ne cesse de faire des sauts dans le temps entre son présent, son enfance et son passé récent avec sa maîtresse. Quant aux molosses noirs, ils sont loin d’être aussi effrayants que les créatures hantant Elm Haven en 1963, même si un certain soldat confédéré y fait toujours de la figuration. Autant Nuit d’été est un livre de référence pour qui aime la littérature d’horreur, autant Les Chiens… apporte une conclusion parfaitement oubliable au cycle d’Elm Haven.