Si la rencontre entre les éditions Mu et Michael Roch n’avait pas encore eu lieu, il faudrait à tout prix la provoquer, tant la ligne éditoriale initiée par Davy Athuil, et désormais soutenue par Mnémos depuis 2020, semble taillée pour cet auteur immensément talentueux. Parmi les courts romans au catalogue, est-il encore besoin de citer Moi, Peter Pan (2016) ou Le Livre jaune (2019, cf. Bifrost 95), deux superbes textes aux accents oniriques et contemplatifs qui ont séduit, à juste titre, de nombreux lecteurs ?
Voici le récit de Charles, un Martiniquais de retour au pays suite au décès de son père. Ce mouvement de fuite le conduit d’abord dans un entre-deux, lui qui n’a jamais été de là-bas mais n’est plus réellement d’ici, où tout a tellement changé. Confronté aux bouleversements écologiques et sociaux que l’auteur imagine à l’œuvre dans cette Martinique de 2037, Charles se cherche, entre drame familial et lutte pour l’indépendance de l’île…
Michael Roch, ce sont des textes qui tiennent du rêve, avec cette part d’insaisissable et du conte, ce cheminement introspectif touchant à l’intime. C’est là son tour de force, à chaque fois : faire de quelque chose qui est d’abord sien un lieu universel où chacun saura retrouver une part de son propre parcours, en écho lointain de ce qui résonne en tout être humain. C’est une langue vivante, sensuelle, qui charrie sans rougir douceur et violence, érotisme et brutalité, poésie et vulgarité. Quelle liberté, quelle respiration de lire cet auteur qui, en peu de mots et dans un phrasé se voulant brouillon (mais personne ne s’y trompera, la maitrise est là), parvient immanquablement à saisir à vif le moment, le sentiment, le geste, l’intention, la beauté de l’instant. Michael Roch semble faire de la magie avec les mots à la manière d’un artisan dont le savoir-faire ne saurait se réduire à la technique.
On peut être étranger à l’histoire des Antilles, ignorant de ce qui se joue dans ces territoires, indifférent au devenir de la Martinique, et on comprendra pourtant, imparfaitement peut-être, ce que ces mots cherchent à nous dire. Ces doutes, cette identité confuse, cette quête permanente de repères, de réponses et de sens. Le souvenir de ce qui a été écrit, le fil de ce qu’on se raconte, toutes ces voix perdues et retrouvées à travers lesquelles on cherche à recomposer son propre récit, entremêlé à celui, plus vaste, du collectif.
Faire de l’universel avec de l’intime, armé d’une langue extraordinairement riche : voilà l’exploit que Michael Roch renouvelle, roman après roman, et qui devrait vous convaincre de le découvrir enfin, si ce n’est pas déjà fait.