Quand deux écrivains britanniques revendiquant l’influence d’Arthur C. Clarke se rencontrent, que cela donne-t-il ?
Au départ, il y a une splendide novella de Clarke, « Rendez-vous avec Méduse » (prix Nebula 1972), qui ne déparerait pas la collection « UHL » de votre éditeur préféré, récit dans lequel Howard Falcon, gravement blessé, réussit néanmoins à aller visiter l’atmosphère de Jupiter au prix d’interventions qui le transforment en cyborg.
Stephen Baxter et Alastair Reynolds livrent ici une suite en centrant leur intrigue sur Falcon, passeur malgré lui entre l’Humain et la Machine. Découpé sous forme de fenêtres temporelles – les Chroniques du titre —, ce roman dresse une manière d’histoire du futur, sur les huit cents prochaines années, près d’un millénaire lors duquel on va assister à l’éclosion de l’Intelligence Artificielle, son émancipation, et finalement son opposition à l’Homme qui lui a donné naissance, tandis que ce dernier réussit à essaimer dans le Système solaire. L’histoire est vue par les yeux de Falcon qui, en raison de sa nature mi-organique mi-métallique, ne veut pas prendre parti pour un camp ou l’autre, et fait donc régulièrement office d’ambassadeur humain, à plus forte raison parce que le représentant côté machines est Adam, l’IA à l’avènement de laquelle il a contribué.
Les deux auteurs excellent ici à prendre la suite de Clarke, auquel ils rendent du reste de multiples hommages (ainsi qu’à 2001), en multipliant les inventions ébouriffantes, très sense of wonder, dans de nombreux domaines technologiques, astronomiques ou informatiques, sans pour autant passer par de laborieuses explications : tout est ici agencé pour que le lecteur en prenne plein les mirettes, qu’il descende dans les plus basses couches de la géante rouge, regarde bien plus loin ou se retourne vers le Soleil. Et comme si cela ne suffisait pas, les auteurs se permettent aussi de situer leur action en pleine uchronie, alors qu’une menace de météorite – supposée entrer en collision avec la Terre – sert de catalyseur à l’exploration spatiale, rendant possible une arrivée sur Mars dans les années 1990. À vrai dire, ces passages prenant place au XXe siècle, s’ils restent passionnants, semblent un peu déconnectés du reste du roman, et de ce fait un brin superflus. Mais, pour les visions dantesques que nous offre ce livre, pour les réflexions sur la nature humaine, l’avenir de l’humanité, pour l’hommage / héritage clarkien respectueux et optimiste, ces Chroniques de Méduse sont une pièce de choix dans les bibliographies respectives de Reynolds et Baxter.