Commençons par la conclusion : Les Chroniques de Cthulhu est une anthologie « lovecraftienne » globalement médiocre qui contient toutefois quelques bons textes et dont les auteurs évitent les écueils bien connus du Necronomicon à toutes les pages et du ragoût de tentacules à la japonaise.
Le plus pénible est sans conteste la traduction française : hétéroclite, avec des fautes de goût, des problèmes de niveau de langue, des contresens, des références mal comprises ou ignorées, des titres mal traduits ou pas traduits alors que les ouvrages existent en français (Only Forward de Michael Marshall Smith c’est Avance rapide, réédité chez Milady en 2014, notez l’ironie). Il est douloureux de voir le traducteur se battre avec le style de Laird Barron, style qui, visiblement, ne lui convient pas du tout (pour tout arranger, le texte de Barron est un des plus longs de l’anthologie).
Parmi les bons textes on citera : « L’Autre modèle de Pickman (1929) » de Caitlin R. Kiernan, « Deal de calmar » de Michael Shea, « Usurpation » de William Browning Spencer, et « La Correspondance de Cameron Thaddeus Nash » de Ramsey Campbell.
« Démons mineurs » de Norman Partridge n’est absolument pas lovecraftien, ni sur le fond ni sur la forme (on dirait du Joe R. Lansdale ou du Bruce Camp-bell en roue libre dans Ash vs Evil Dead), mais c’est de la mauvaise littérature (très mauvaise !) qui se lit avec grand plaisir. Déjà ça de pris.
« Substitution » de Michael Marshall Smith est de loin le texte le plus convaincant, mais peut-être pas le plus lovecraftien ; à ce jeu, Caitlin R. Kiernan et William Browning Spencer semblent plus « fidèles ».
Reste qu’en cette période de résurgences lovecraftiennes diverses et variées (tout le monde s’y met, jusqu’à Alan Moore, c’est réjouissant ou pas, selon les goûts de chacun), on peut raisonnablement se demander « À qui s’adresse cet ouvrage ? », d’autant plus que les éditeurs ont fait un effort salutaire sur le prix de vente : 19,50 euros. À qui ? Difficile à dire. Il n’y a pas grand chose à se mettre sous la dent pour les joueurs de jeu de rôles, et les lecteurs purs de Lovecraft risquent de s’ennuyer sur une bonne moitié des textes sans être pour autant renversés par l’autre moitié.
Il y avait sans doute mieux à faire d’un point de vue éditorial : publier un best of des meilleurs nouvelles d’inspiration lovecraftienne des vingt dernières années, la crème de la crème. C’était évidemment plus compliqué que de traduire une anthologie clés-en-main, mais le résultat aurait été sans doute plus enthousiasmant.