Stephen BAXTER, Alastair REYNOLDS
BRAGELONNE
408pp - 25,00 €
Critique parue en avril 2018 dans Bifrost n° 90
Un accident de dirigeable a quasiment tué le commandant Howard Falcon. Les chirurgiens l’ont sauvé, mais au détriment de son humanité ; il est devenu le premier cyborg. Vivant donc, mais seul car trop différent. Cependant, cette transformation, outre une plus grande longévité, lui a apporté une résistance bien supérieure à la nôtre. Et donc, la possibilité de pénétrer les nuages de Jupiter, là où la pression est telle qu’aucun humain ne pourrait survivre bien longtemps. Lors d’une expédition sur la planète géante, il va rencontrer d’autres formes de vie surprenantes, titanesques.
Le temps passant, les progrès de la technologie ont permis la création de robots dotés d’une vraie intelligence artificielle. Cantonnés aux tâches serviles, ceux-ci vont peu à peu prendre leurs distances avec les hommes. Puis se révolter. Le conflit entre hommes et machines est enclenché. Howard Falcon, mélange des deux, se trouve malgré lui en position de médiateur. Sera-ce suffisant pour éviter le bain de sang, voire la destruction du système solaire ?
Suite directe de la nouvelle d’Arthur C. Clarke « Face-à-face avec Méduse » (que Bragelonne publie en numérique, mais qu’on trouve également dans le très riche Odyssées : l’intégrale des nouvelles, chez le même éditeur), Les Chroniques de Méduse signe la première collaboration de deux pointures de la hard SF anglo-saxonne, Stephen Baxter et Alastair Reynolds. Le premier est un familier de l’univers d’Arthur C. Clarke, puisqu’il a coécrit avec lui plusieurs romans. Le second n’est pas effrayé par les grands espaces et les conflits entre espèces. Et de fait, malgré quelques réserves, le résultat est une réussite. On retrouve en effet, dans ce roman, le vertige présent dans les grands opus de Baxter (c’est lui, avant tout, qui porte cet ouvrage, en connaisseur impressionnant de l’œuvre de Clarke et rêveur invétéré de la conquête spatiale), avec des sauts à travers le temps et l’espace, comme dans le cycle des « Xeelees » (Le Bélial’). Les plongées dans l’atmosphère de Jupiter, et plus loin encore, sont magiques et propices à la rêverie. D’un autre côté, les perspectives ouvertes par le récit, les réflexions offertes à sa lecture, sont gigantesques : que ce soit la conquête d’autres planètes du Système solaire (et on se rappelle Voyage du même Baxter, chez J’ai Lu) ou la création d’une IA digne de ce nom – et ses conséquences. Ajoutez à tout cela une petite, mais fort intéressante variante de l’histoire : et si Américains et Russes, au lieu de lutter dans la course à l’espace, s’étaient associés… Et vous aurez un cocktail aussi captivant que recommandable.
Reste que les fines bouches n’en évoqueront pas moins quelques regrets. Tout d’abord, la naïveté qui teinte en partie les relations entre Adam, le premier robot, et Howard. Mais aussi les nombreux sauts dans le temps, et donc des passages parfois trop rapides d’une époque à une autre : cela peut donner une impression de survol, d’inaccompli. On reste, par moments, sur sa faim, frustré que les auteurs n’aient pas pris le temps de développer telle idée, tel passage.
Mais fi des hésitations et des pinailleries, préparez vos chaussures de l’espace (vous allez en bouffer, des kilomètres !) et embarquez pour ce voyage extraordinaire sous la houlette de Stephen Baxter (et d’Alastair Reynolds). Trois… deux… un… ignition !