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Les critiques de Bifrost

Les Loups du solstice

Les Loups du solstice

Anne RICE
MICHEL LAFON
432pp - 20,50 €

Bifrost n° 112

Critique parue en octobre 2023 dans Bifrost n° 112

Le protagoniste du Don du loup a pour nom Reuben Golding. Le jeune journaliste travaille pour un quotidien de San Francisco, à l’orée du siècle actuel. C’est lors d’un reportage pour celui-ci que son existence vient à plus d’un titre à se métamorphoser…

Reuben est plus précisément envoyé à Nideck Point, une ancienne et luxueuse demeure tapie dans l’épaisse forêt bordant le Pacifique. L’ancestral domaine de la famille Nideck appartient à l’une de ses membres, prénommée Marchent. D’emblée fasciné par Nideck Point, Reuben l’est tout autant par sa propriétaire qui a deux fois son âge. À tel point qu’il en vient à coucher avec elle. D’abord heureusement marquée par la jouissance érotique, la nuit des deux amants vire au cauchemar sanglant. Des intrus assassinent sauvagement Marchent, réservant un même sort à Reuben. Il est sauvé in extremis par un inconnu d’autant plus énigmatique qu’il s’adresse au jeune homme avec force grognements animaux, tout en lui infligeant de douloureuses morsures. Certes non létales, elles ne seront pas sans conséquence (et quelle conséquence !) puisqu’elles auront été pour Reuben le vecteur du don donnant son titre au roman. Voici le jeune homme bientôt devenu loup-garou, ou bien encore « Homme-Loup » ou « Morphenkind », selon les formules mêmes de Rice…

Aussi mixte dans sa forme que son métamorphe de héros, Le Don du loup offre une évidente déclinaison du motif au cœur de toute l’œuvre de Rice, c’est-à-dire celui de l’oxymore. Rice déploie autour de la figure à la fois humaine et animale de Reuben un monde également bifrons. S’y côtoient notamment l’amour le plus pur et la haine la plus féroce. Et pour exprimer le premier, l’écriture de Rice se révèle d’un lyrisme aussi assumé (on rougit et on pleure beaucoup dans Le Don du loup) que l’horreur (volontiers gore) traduisant la seconde.

Nullement diabolique, l’état lycanthropique de Reuben s’assimile par ailleurs à une véritable bénédiction. Il lui permet en effet d’atteindre à une forme d’achèvement tant physique qu’éthique. Nanti une fois métamorphosé d’une force et d’une invulnérabilité surhumaines, il en use pour devenir un inattendu justicier. Le loup-garou selon Rice dispose encore d’un sixième sens moral permettant littéralement de flairer la présence d’un mal irrémissible chez celles et ceux dont il fait ensuite ses proies exclusives. Ne chassant et ne dévorant que ce que San Francisco compte de brutes et autres sadiques irrécupérables, Reuben devient dès lors une manière de super-héros… doublé, oserait-on dire, d’un « super-amant » car l’état lupin lui confère une sensualité d’une intensité inédite, dont bénéficiera bientôt Laura, sa nouvelle compagne.

Se croyant d’abord unique représentant de son étrange espèce, Reuben découvrira qu’il existe d’autres « Morphenkind ». Certains le rejoindront à Nideck Point, où s’organisera ainsi une communauté non seulement d’hommes-loups mais aussi de femmes-louves. C’est de la vie de celle-ci dont traite Les Loups du solstice, sorte d’utopie aristocratique dans laquelle une meute lycanthropique dessine les contours d’un monde libéré du Mal et voué à la jouissance des sens comme de l’esprit. D’une originalité spéculative certaine, ce second tome des « Chroniques du Don du loup » finit cependant par gâcher quelque peu son objet. Et ce, faute d’une combinaison harmonieuse entre de (trop) nombreux dialogues théoriques et de bien rares rebondissements. Preuve que même pour la maîtresse en la matière qu’était Rice, l’art de l’oxymore n’est pas toujours aisé à pratiquer…

Pierre CHARREL

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