John Wyndham (1903-1969). Hormis les connaisseurs et les plus vieux lecteurs, le nom n'évoque plus grand-chose, sauf, peut-être, Le Village des damnés, titre des œuvres cinématographiques adaptées de Les Coucous de Midwich, dont la plus récente remonte à 1995 (par John Carpenter) — de cette même année date en France la dernière réédition de l'ouvrage, sous le titre du film et chez Denoël en « Présence du Futur ». Si Wyndham n'a pas été un auteur particulièrement prolifique, son œuvre n'en fut pas moins abondamment traduite en français. Mais qu'en reste-t-il ?
Wyndham a publié sur près de quarante années, de 1931 à 1968, avec une interruption causée par la seconde Guerre mondiale et un essor qu'il lui fut bien difficile de reprendre après ce hiatus forcé. De la première période où il signait John Beynon ou John Beynon Harris, nous reste principalement Passagère clandestine pour Mars, qui compte parmi les premiers numéros du « Rayon Fantastique ». Suivra Le Péril vient de la mer, qui sera réédité en « Présence du futur » chez Denoël, principal éditeur de cet auteur en France avec quatre des dix titres existants : Les Coucous de Midwich, Le Temps cassé et L'Herbe à vivre étant les trois autres. À la même époque, le Fleuve Noir « Anticipation » n'était pas encore exclusivement francophone et, outre Vargo Statten, adaptait d'autres auteurs anglo-saxons dont, par deux fois, Wyndham. En 56 tout d'abord, avec The Day of the Triffids, également porté à l'écran, puis, en 58, avec The Chrysalids, sous l'intitulé Les Transformés. Titre qui sera repris en 1976, chez OPTA, couplé avec l'ultime roman de Wyndham, Chocky, dans l'onéreuse collection du « CLA », tandis que Le Jour des triffides était repris en « Anti-Monde » chez le même éditeur. Deux recueils de nouvelles allaient encore paraître : La Machine perdue au Masque « SF » et un « Livre d'Or » dû à Denis Guiot et Patrice Duvic chez Pocket, en 87. Et depuis, plus rien. Aussi, l'initiative de Terre de Brume, qui a déjà exhumé Le Jour des Triffides au tout début 2005 (roman qui vient d'être réédité en poche chez Folio « SF ») est-elle à louer et soutenir. Entretenir, c'est-à-dire publier et faire lire le patrimoine de la science-fiction, est une nécessité qui, ici, fait apparaître la filiation, à travers la tradition anglaise du roman catastrophe, qui relie Wells à Ballard.
Les Chrysalides est une histoire de mutants. Il en existe deux types principaux. Dans le premier, les mutants usent de leur pouvoir pour dominer leur environnement. L'Homme démoli, Le Pouvoir, L'Echiquier du mal, la série Perry Rhodan illustrent cette façon. Dans le second, les mutants sont persécutés, ainsi dans À la poursuite des Slans, Les Enfants de Darwin ou bien ici.
Bien après une guerre nucléaire — qui est souvent le prétexte au thème du mutant — ayant ravagé l'Amérique du Nord, une communauté rurale survit au Labrador. Y règne la grenouille — et surtout le crapaud — de bénitier. Toute une population de fermiers non seulement confite en dévotion, mais encore fanatique de la pureté et de la conformité à l'Image de Dieu qui traque les déviations, offenses ou blasphèmes que sont les mutations. Les créatures ou végétaux frappés de difformités sont détruits ou tués, les êtres « pas » humains sont stérilisés et bannis dans l'Orée qui borde les Terres Maudites — irradiées et contaminées. On sait aujourd'hui que de telles difformités, imputables à des radiations, auraient tendance à se raréfier avec le temps et à tendre vers la normale grâce à la redondance diploïde de l'ADN. Mais en 55, quand Wyndham publiait Les Chrysalides, la découverte de l'ADN ne remontait qu'à deux ans et une communauté de bouseux comme celle qu'il met en scène aurait tout simplement rejeté un tel savoir comme déviant. Le propre du fanatisme étant sa totale imperméabilité aussi bien à toute raison qu'à la moindre émotion.
Le décor et l'action apparentent Les Chrysalides au western. La Bible dans une main, le fusil dans l'autre. Ainsi le père mène-t-il une horde de cavaliers assoiffés de sang sur la piste de son propre fils avec le dernier acharnement. On voit aussi une sœur refuser à l'autre un arrangement qui aurait permis que vive un bébé à peine difforme.
Le thème du mutant faisait florès dans les années 50, où l'on croyait encore volontiers à l'avènement d'un homo superior doté de facultés psi (télépathie, télékinésie, hypnose, etc.). En un demi-siècle, cette thématique a déserté la science-fiction, ne subsistant que sous forme de thrillers (Harris, Simmons), le diptyque de Greg Bear faisant figure d'exception quoiqu'il n'y soit pas question de pouvoir psi. Ce thème a également glissé du côté de la magie et donc de la fantasy. C'est le cas d'une conjecture qui était, mais n'est plus, rationnelle. Ainsi, Dan Simmons, dans son Echiquier du mal, ne cherche-il pas à expliquer pourquoi ceux qui ont le pouvoir l'ont, il ne met en scène que la manière dont ils l'utilisent.
Si on peut lire Les Chrysalides comme une fable sur la tolérance et une condamnation forte du fanatisme, le message de John Wyndham est davantage à rechercher du côté métaphorique du titre, l'idée qui court l'œuvre de Wyndham étant que le mieux adapté survit. C'est parce qu'ils sont mieux adaptés que les mutants survivent, et c'est le refus fanatique du changement qui condamne les communautés labradoriennes. Bien sûr, c'était avant que Larry Niven ne popularise en S-F l'idée que la tendance de nos sociétés à assister les moins adaptés inhibe le potentiel évolutif de l'espèce.
À défaut d'être le chef-d'œuvre annoncé, Les Chrysalides est un roman toujours efficace après cinquante ans, intéressant et dynamique, où les personnages principaux ont l'épaisseur nécessaire à leur rôle. Une réédition fort bienvenue. À redécouvrir sans plus attendre.