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Les critiques de Bifrost

Les Cicatrices de l'évolution

Les Cicatrices de l'évolution

Elaine MORGAN
GAIA
262pp - 23,10 €

Bifrost n° 14

Critique parue en juillet 1999 dans Bifrost n° 14

Pourquoi marchons-nous sur nos pattes de derrière ? Pourquoi avons-nous perdu notre fourrure ? Pourquoi avons-nous acquis un si gros cerveau ? Pourquoi parlons-nous ? Réponse invariable : on ne sait pas ! Mieux : toutes les théories quant à l’origine de l’homme, à ce jour proposées, ont ceci en commun de ne pas résister à une contre-enquête sérieuse et dépourvue de préjugés. Dernière en date : la « théorie de la savane », véritable fonds de commerce du très télégénique Yves Coppens. Examinée de plus près que la distance vous séparant du poste de télévision, elle ne tient guère mieux la route que la création biblique en sept jours !

Rien n’explique ni ne justifie la nature étrange de notre peau, larynx, glandes sudoripares, tissu adipeux, larmes, organes sexuels, etc. Rien non plus ne saurait dire pourquoi, aventuré dans la savane comme de nombreuses espèces animales, l’homme aurait été le seul à évoluer comme il l’a fait — d’autant que cette évolution est infiniment plus destructrice que bénéfique : l’impressionnante liste de nos « tares » particulières (douleurs dorsales, obésité, acné, pellicules, hernies inguinales, hémorroïdes, dérèglement de la plupart de nos glandes…) fait de Homo Sapiens Sapiens le plus beau ratage de l’univers !

Absolument rien !

À moins de s’apercevoir que si l’homme ne partage dans sa « finition » pas grand-chose avec les mammifères terrestres, y compris les autres singes, il a tout en commun  avec les mammifères marins : de l’absence de fourrure à la copulation ventro-ventrale, en passant par la descente du larynx (respirer ou manger : il faut choisir !), l’existence du tissu adipeux sous-cutané (question de flottabilité et d’isolation), la perte des phéromones (à quoi cela servirait-il dans l’eau ?), la tendance à la néoténie, etc.

Depuis une vingtaine d’années, Elaine Morgan conduit, sur le mystère des origines de l’homme, des recherches méthodiques. Elle développe une argumentation solide et détaillée, en faisant appel aussi bien à la géologie qu’à la biologie, et en s’efforçant de ne jamais laisser de côté ce qui pourrait contrarier sa « Théorie du singe aquatique ». Peu de chercheurs ont cette rigueur, cette honnêteté.

Dans son troisième ouvrage sur le sujet, Elaine Morgan revient sur cette race de singes qui, il y a six millions d’années, vit son environnement bouleversé — se vit elle-même isolée et contrainte à une spéciation rapide. Ce singe évolua pour s’adapter à un nouvel environnement côtier et semi-aquatique — avant d’être confronté à un second bouleversement de son cadre de vie et lâché sur la terre ferme, désormais nu comme… un homme.

Les Cicatrices de l’évolution est un livre étonnant, écrit avec verve, dans une langue précise et colorée d’un humour très « british ». Il ouvre, qui plus est, des perspectives philosophiques vertigineuses — pour peu que vous ayez conservé une âme d’enfant (l’esprit humain est-il lui aussi néoténique ?), plusieurs évidences vous sauteront aux yeux. Entre autres le pourquoi de cette curiosité bienveillante des dauphins envers notre espèce — ou de ce sentiment étrange qui nous fait parfois voir dans l’insularité le reflet d’un paradis perdu : le Danakil.

Que la science est belle quand elle nous fait rêver…

Francis VALÉRY

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