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Les critiques de Bifrost

Les contes de Murboligen

Les contes de Murboligen

Frode GRYTTEN
DENOËL
371pp - 22,30 €

Bifrost n° 42

Critique parue en mai 2006 dans Bifrost n° 42

Au chapitre des petites musiques qui font du bien à l’âme autant qu’au moral, la collection « & d’ailleurs » des éditions Denoël est passée experte. Entre Adam Johnson (Emporium), Arthur Bradford (Le Chien de ma chienne) et maintenant Frode Grytten, la collection tape juste et fait mouche quasiment à chaque coup. Pas de fantastique ni de monstre tentaculaire dans Les Contes de Murbolingen, mais une vision sociale de la Norvège particulièrement décapante et une immersion à l’intérieur des personnages impeccablement traitée. Murbolingen, c’est une banlieue quelconque d’une ville de province norvégienne perdue au fond d’un fjord. C’est aussi un immeuble en briques rouges, ouvrier à l’origine, et qui rassemble tant bien que mal toute une humanité à chaque étage. Autant de nouvelles, donc, qui mettent en scène des habitants de l’immeuble ou des personnes ayant un lien privilégié avec lui. Procédé extrêmement classique, mais d’une sobre efficacité. Il y a une femme obèse incapable de s’aimer et donc d’être aimée par les autres, il y a un jeune homme qui perd pied après que sa femme ait donné naissance à un enfant mongolien, il y a ce vigile paumé qui disjoncte, ce fan de Morissey dont la mère meurt lentement du cancer, il y a quantité de personnages profondément humains, sincères, grands dans leurs petitesses comme dans leur quotidien. Evidemment triste, évidemment décalé, Les Contes de Murbolingen n’ont pourtant rien de désespérant. Ils se contentent d’évoquer de courtes tranches de vie parfois hilarantes, parfois bouleversantes, comme le sont toutes les tranches de vie. Réussite totale, pour un recueil aussi subtil que touchant, aussi pudique qu’obscène, aussi drôle que tragique. Il est, par exemple, impératif de ne pas rater la nouvelle qui met en scène Harry, jeune père de deux enfants avec sa banalité et ses problèmes habituels, mystérieusement choisi par un journal d’Oslo comme « le Norvégien moyen de l’année » et qui pète les plombs devant une telle absurdité. Son odyssée (car c’en est une) est à tomber par terre, tant l’humour est ici poussé à son paroxysme : une tristesse infinie.

Un grand bouquin et un auteur (une littérature, même) à découvrir au plus vite.

Patrick IMBERT

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