Jean RAY, Arnaud HUFTIER
ALMA
286pp - 18,00 €
Critique parue en juillet 2017 dans Bifrost n° 87
Ce premier recueil de Jean Ray comporte deux parties : la première (16 courtes nouvelles) reprend le titre donné au volume, alors que la seconde (11 récits plus longs) s’intitule « Et quelques histoires dans le brouillard ». La première partie propose des récits composés de 1923 à 1925. Jean Ray offre une unité de lieu, avec le bar au nom éloquent de « Site enchanteur », et ces habitués, les errants de la mer à la langue âpre, poétique et brutale, parfois teintée d’antisémitisme. L’« or du whisky » fait miroiter d’étranges déformations de perspectives : l’ivresse provoque une autre vision du temps et de l’espace. L’ensemble du recueil ne peut être placé sous le signe du fantastique. Seuls cinq récits renvoient ouvertement au surnaturel, à l’aune des déformations, avec par exemple « Irish whisky » et cette transformation de Gilchrist en araignée, ou « Josuah Güllick, prêteur sur gages » et cette main autonome. Les autres nouvelles présentent elles aussi des aberrations. Le morbide se mêle alors, de manière étonnante, à la farce, comme dans « Mon ami le mort » ou « Le Saumon de Poppelreiter ».
La partie « Et quelques histoires dans le brouillard » est constituée de récits plus anciens qui proposent des variations. L’auteur détourne par exemple la tradition vampirique, avec la princesse Opoltchenska dans « Le Gardien du cimetière »? ; la Quatrième dimension s’illustre dans « Les Étranges études du Dr Pauken-Schläger ». Variations, aussi, par rapport à des modèles littéraires, « La Bête blanche » renvoyant à Conan Doyle, et « La Vengeance » à Edgar Allan Poe. Variations, de même, sur le monstrueux dans « L’Observatoire abandonné ». Une indéniable réussite.