Court recueil de six nouvelles publié aux éditions Critic, cette dernière livraison de Thomas Geha est un très bon cru. Souvent poétique, documenté, doté d’un style déjà bien affirmé, une sensibilité rare, et le souci permanent d’explorer les sentiments et les émotions de ses personnages, l’auteur affirme ici une plume encore jeune mais déjà bien affutée autour du thème de la création. Impossible de ranger ce recueil dans une classification particulière. On se promène avec bonheur entre le conte, le fantastique, la transfiction, l’uchronie, l’onirique. Le recueil s’ouvre avec « La Voix de monsieur Ambrose », l’histoire d’un acteur de théâtre renommé que la gloire fuit parce que sa voix ne porte pas assez… jusqu’à ce qu’il rencontre un certain Arthur Machen. Dès ce premier texte, Thomas Geha fait montre de l’entendue de son savoir-faire en livrant un Paris du xixe siècle parfaitement réaliste. « Là-bas », Prague, la légende du Golem, une parabole sur un destin brisé. Etrange, dérangeant. L’auteur dit lui-même que cette nouvelle prend sa source dans une expérience amoureuse personnelle et dans le drame Cantat/Trintignant. Envoûtant. « Copeaux » est un conte de Noël bouleversant, le récit d’une jeune orpheline recueillie par ses grands-parents dont le papé est un taiseux. Une nouvelle sombre, triste et belle. Simplement belle. Un exercice pourtant difficile tant le risque d’excès de pathos était grand ; écueil négocié sans heurt par Thomas Geha qui, indubitablement, parvient à toucher le lecteur et lui laisser ce texte en mémoire pour longtemps. « Bris » est une histoire d’amour sur fond de voyage temporel. Un texte étonnant, étrange même, entre rêve et réalité, plein de poésie et de magie. « Dans les jardins », seul inédit de ce recueil, nous plonge à nouveau en terre de Bretagne ; s’y ajoute une lanterne magique, un jardin habité, un peu de fantastique, beaucoup de poésie et une histoire d’amour poignante. La dernière nouvelle, « Sumus Vicinae », est un hommage au compositeur flamand Nicolas Lens. Construite à la manière d’un requiem, c’est surement la plus difficile d’accès, la plus exigeante, tant l’auteur semble parfois parti loin, très loin.
Reste donc, on l’aura compris, un recueil de haute tenue, l’illustration quasi idéale des possibilités de la forme courte qui n’interdit en rien, bien au contraire, de présenter des personnages fouillés et des univers riches de détails. Une vraie réussite. Que dire de plus ? Que Thomas Geha confirme à nouveau avec Les Créateurs qu’il est un auteur à suivre ? Définitivement. Et l’occasion de rappeler ici le travail prometteur des jeunes éditions Critic (tout en renvoyant à la rubrique « Paroles de libraire » du Bifrost n°67).