Robert SILVERBERG
J'AI LU
3,70 €
Critique parue en janvier 2008 dans Bifrost n° 49
Découvert en France en 1978, dix ans après sa sortie aux Etats-Unis, ce court roman a immédiatement fasciné. Le lecteur connaît le thème, particulièrement original, et ce dès la quatrième de couverture : la prison temporelle. Depuis toujours passionné du Temps, Silverberg invente Hawksbill Station (titre anglais du livre), le « dépotoir où aboutissent tous les éléments agitateurs, révolutionnaires, subversifs et autres. ». Créée en 2004 par un gouvernement fort, la Syndicature, sur la base des calculs du mathématicien Hawksbill, la station est établie au Cambrien, période géologique située entre 550 et 500 millions d’années avant Jésus-Christ. La vie n’y est encore qu’exclusivement maritime, dominée par les trilobites, vers et arthropodes. Les déportés, tous masculins (les femmes sont, elles, au Silurien, 100 millions d’années plus tard), survivent tant bien que mal, à l’aide des matériaux envoyés par le Marteau, la machine également à l’origine de leur présence sur cette Terre embryonnaire. Ils sont plus ou moins dirigés par leur doyen, Jim Barrett, arrivé en 2008. L’intrigue se déroule en 2029, et débute par un évènement important : l’arrivée d’un nouveau détenu, Lew Hahn. Comme dans un autre célèbre roman de S-F, Voici l’Homme, de Michael Moorcock, quasi contemporain (1969), l’action est perçue en deux « temps » : 2008 et les aventures révolutionnaires du groupe d’amis entourant Jim Barrett (dont Hawksbill et Jack Bernstein, futur tortionnaire gouvernemental), et 2029 et la vie des prisonniers temporels, confrontant leurs théories politiques à leur terrible isolement. Car le Voyage est à sens unique : il n’y a pas de retour… Le nouveau, Hahn, n’a pas vraiment l’air d’un condamné, il questionne, interroge, prend des notes : se pourrait-il que…? Le roman est supérieurement conduit, alternant des moments de tension (les activités révolutionnaires) et d’autres plus psychologiques (la vie quotidienne au Cambrien). Mais c’est avant tout pour son formidable pouvoir d’évocation qu’il s’inscrira dans l’Imaginaire, par la description de ce monde hostile et terrifiant dans sa désolation extrême. Par sa grande sensibilité aussi, sans laquelle Silverberg ne serait pas lui-même. Le choc de la scène finale ne sera pas près d’être oublié. Contrairement à une opinion répandue, Les Déportés du Cambrien n’est pas une œuvre mineure. Au contraire, elle est un exemple typique du génie de son auteur, et que l’on retrouvera dans ses plus grands textes (L’Homme dans le labyrinthe, Les Ailes de la nuit, le cycle de Majipoor, « Le Long chemin du retour »…), alliage unique d’un décor conjectural et de la plus profonde humanité.