Boris Quercia continue à délaisser le polar au profit de la SF. Après Les Rêves qui nous restent et ses interrogations sur l’humanité des machines (cf. Bifrost n°106), l’auteur chilien aborde un autre thème typique des dystopies : un monde totalitaire où la moindre liberté est confisquée par un pouvoir aveugle, militaire et sans pitié. Comme souvent dans ces cas, la résistance ne baisse pas les bras, quand bien même elle se trouve en mauvaise posture au début du récit. Le réseau de la Société du peuple libre ayant été quasiment démantelé, il ne lui reste plus qu’un espoir : un cube de données, la dernière copie du NEURON. Que Victor doit transmettre à un comparse capable de le dupliquer dans le réseau, et d’offrir ainsi à tous les autres la liberté. Mais sa mission est un échec. Il est capturé alors qu’il tenait le NEURON dans la main. Tout semble perdu. D’autant que Victor découvre que Nivia, sa maitresse, en qui il avait toute confiance, appartient à la police secrète du pouvoir, et qu’elle ne vivait avec lui que pour mieux le surveiller et le piéger. Pourtant, lors de l’interrogatoire, un miracle a lieu : les tortionnaires ne voient pas l’objet précieux que Victor tient dans sa paume.
Alors, le thriller prend une dimension religieuse : Boris Quercia invoque une figure de messie, martyr d’une cause qui le dépasse mais pour laquelle il est prêt à souffrir et à donner sa vie. On retrouve dans certains passages les images accompagnant ce thème classique. Y compris la présence de la mater dolorosa déplorant la perte de son enfant. Mais sans le corps car, rappel à l’histoire, dans ces pays, les autorités se débarrassent des cadavres, et les mères ne peuvent pleurer leurs fils assassinés – juste montrer au reste de la population leur tristesse et tenter d’apitoyer les monstres.
Enfin, Les Derniers maillons met en scène la mécanique du pouvoir. Comment les dirigeants sont en fait interchangeables. La doctrine portée par les élites importe peu, les figures mises en lumière aussi. Seul compte le pouvoir : chacun veut le posséder et est prêt à tout pour le récupérer, au détriment même de ses proches. La trahison n’est pas une option, c’est une obligation. La conviction n’est qu’une variable d’ajustement. Et le plus atroce dans ce portrait d’une société malade, c’est que quel que soit l’homme au sommet, le résultat est identique pour le peuple : il sera surveillé, humilié, utilisé.
Roman après roman, Boris Quercia trace son sillon dans le domaine de l’Imaginaire en s’appropriant avec talent des thèmes de SF, classiques ou plus à la pointe, tout en les gauchissant légèrement. Jusqu’à leur donner une dimension originale, et offrir ainsi des récits aussi prenants qu’intenses d’une belle intelligence. On ne peut qu’espérer qu’il poursuive dans cette voie avec le même succès.