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Les critiques de Bifrost

Critique parue en avril 2012 dans Bifrost n° 66

Nous sommes en 2070, selon la quatrième de couverture. Sauf que 2070 est censé être la date d’une découverte fondamentale pour l’humanité, celle de la Pompe à Electrons, mais l’action, en fait, prend place trente ans plus tard (cf. p. 17). Bon. Sauf que p. 93, on nous informe que les quasars ont été découverts « il y a quelque cinquante ans », donc en 2020, alors que les premiers ont été observés à la fin des années 1950 (le mot quasar date de 1964). Tout ceci pour prévenir le lecteur que Les Dieux eux-mêmes, roman qui, en 1972, marqua le retour d’Isaac Asimov à la littérature de SF après une quinzaine d’années d’absence, n’est pas un modèle de cohérence.

Un dénommé Hallam, médiocre radiochimiste proche de la placardisation, découvre un jour dans son bureau que du tungstène 186 a muté en plutonium 186, un élément dont l’existence est impossible dans notre univers. Il en déduit rapidement que cette matière vient d’ailleurs, que des créatures intelligentes, appartenant à un « para-univers », cherchent à communiquer et surtout à échanger de l’énergie, ce qui aboutira à l’élaboration de la Pompe à Electrons. Mais cette découverte est-elle sans danger ? Question soulevée trente ans plus tard par un jeune physicien, qui s’est mis en tête de faire l’historique de cette découverte, jusqu’à se heurter à Hallam, devenu le grand mandarin de la physique mondiale.

Asimov raconte trois histoires, trois fois la même en fait : comment quelqu’un parvient à démontrer la dangerosité de la Pompe à Electrons. L’histoire qui fait l’objet de la première partie présente les efforts de Lamont, historien improvisé, puis finalement ennemi impuissant de Hallam. Un début particulièrement dur pour le lecteur qui, s’il veut lire de la SF de laboratoire, ferait mieux de préférer Savtchenko, Gor ou Iourev à Asimov, car ceux-là, au moins, ne se contentent pas des querelles d’ego pour faire du texte, mais y ajoutent un bon paquet de réflexions philosophiques. Ennuyeux, lourd, ce premier récit laisse à penser que l’auteur aurait mieux fait de ne pas se remettre à écrire de la SF.

Puis vient la deuxième partie, qui à elle seule aurait fait une formidable novella. Nous nous plaçons dans le para-univers, pour découvrir une civilisation, si l’on peut employer se terme, constituée d’êtres fluides, capables de s’interpénétrer, vivant non pas en binômes, mais en trinômes (un Rationnel, une Emotionnelle, un Parental). Ici, Asimov rompt avec tout ce qu’il avait pu produire auparavant pour se plonger dans l’étranger et le fascinant. Et si l’on peut regretter quelques éléments encore trop anthropomorphiques (un des êtres peut tenir quelque chose « dans sa main »), on n’en reste pas moins surpris par une forme de vie particulièrement crédible, mais qui n’est pas nécessairement originale (Brioussov, à qui Asimov avait déjà emprunté Trantor, montrait quelque chose de semblable en 1908).

Alors évidemment, pour le lecteur, le retour, dans le cadre de la troisième partie, à des querelles de laboratoire, reste quelque chose de dur à avaler, d’autant plus qu’Asimov y débite parfois des choses curieuses, comme cette impossibilité pour une Lunarite (femme née sur la Lune, donc supposée frêle) de faire l’amour avec un Terrien sans se blesser, sachant que les Lunarites sont des sportifs accomplis et que rien après tout n’empêche madame de se mettre sur monsieur…

Clairement, Les Dieux eux-mêmes n’est pas un bon roman (en dépit de la kyrielle de prix littéraires, notamment le Hugo, qui salua sa parution). Il n’a pas le panache des Fondation, ni l’intérêt sociologique des Cavernes d’acier ou de Face aux feux du soleil. Il n’empêche qu’il mérite la lecture rien que pour sa partie centrale.

Patrice LAJOYE

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