Kristine Kathryn RUSCH
BRAGELONNE
348pp - 20,00 €
Critique parue en mai 2008 dans Bifrost n° 50
Voici donc notre bon vieux système solaire enchâssé dans un univers de space opera tout grouillant d'extraterrestres aussi nombreux que variés.
Un monde où Miles Flint est flic. Il vient d'être promu inspecteur et doit faire équipe avec De Rizzi, la brebis galeuse du service — celle à qui on refile toutes les merdes où il y a risque de se planter en attendant avec espoir que ça arrive. Or, des sacs de nœuds, voilà qu'il en pleut autant qu'un évêque en bénit sur le port lunaire d'Armstrong.
Nos deux inspecteurs se retrouvent sur leur première scène de crime de la journée, qui n'en est d'ailleurs probablement pas une puisqu'il s'agit d'une vendetta disty. Comprenez, un étripage grand luxe, avec de la tripaille après le lustre comme des guirlandes sur un sapin de Noël, du sang partout, de la merde ailleurs et trois cadavres éviscérés dans les règles de l'art… histoire de se mettre en appétit.
Voilà ensuite nos compères appelés à s'occuper d'un astronef Wygnin arraisonné dans l'espace circumlunaire avec à bord des enfants humains que les extraterrestres revendiquent comme leurs…
Comme on dit : jamais deux sans trois ; un second yacht cosmique arrive à Armstrong avec à son bord une femme qui manque de crasher l'engin et prétend avoir échappé à l'abordage de son vaisseau par une troisième variété d'extraterrestres aussi susceptibles qu'un directeur de collection. Notre duo de flic a là plus de pain sur la planche qu'il ne lui en faudrait. Et en guise de cerise sur le gâteau, voilà qu'Ekaterina Maakestad se fait la malle pour le plus grand bonheur du lecteur. C'est à elle que le roman doit d'être suffisamment remuant pour être plaisant.
Le roman de Rusch s'apparente aux thrillers juridiques, et tout l'intérêt du truc consiste à avoir transposé cette problématique dans un univers de science-fiction sans ça plutôt banal mais qui suffit à accentuer le relief du propos.
Un clan Disty peut, en toute légitimité, lancer une vendetta qui se solde par l'exécution rituelle, sanguinaire et atroce, non seulement du coupable, mais de toute personne lui ayant accordé son aide à titre d'exemplarité.
Rien de tel chez les Wignin, selon la loi desquels les enfants des criminels sont revendiqués, au besoin kidnappés, pour être éduqués et devenir des Wignin, ce qui est aussi un honneur, mais, s'ils sont trop âgés, ça ne se fera pas sans de terribles et irréversibles séquelles. De toute façon, ils n'auront plus rien d'humains si ce n'est l'apparence.
Enfin, les irascibles Rèv, qui ne supportent que la plus absolue franchise, de celle qui nous semblerait à tout le moins impolie, estiment les avocats pénalement responsables des forfaits ultérieurs de ceux de leurs clients dont ils ont obtenu l'acquittement, la relaxe ou le non-lieu.
En juxtaposant ainsi trois enquêtes, l'auteur peut confronter certaines divergences éthiques qui traversent le droit occidental. Les extraterrestres incarnent des philosophies du droit marginales et minoritaires. Une certaine forme d'équité pourrait vouloir qu'un innocent paie pour une innocente victime, mais ce n'est pas l'opinion communément admise, surtout si ce devait être un gosse… Nos juridictions ne seraient-elles pas réticentes à condamner une mère qui, sans commettre elle-même d'autre crime ou délit, aurait protégé son fils promis à la corde ? Enfin, il est coutumier d'entendre, au Café du Commerce, des voix s'élever pour trouver scandaleux qu'un avocat obtienne la remise en liberté de son client, tout particulièrement en cas de vice de forme, ou lorsqu'un expert déclare un tueur irresponsable et, tout simplement, pour s'offusquer des droits de la défense. Du prétoire au comptoir, on constate une certaine divergence de point de vue.
Par ailleurs, ce roman repose sur un élément peu crédible mais néanmoins intéressant. Il existe des « agences de disparition ». À savoir des officines ayant pignon sur rue qui se chargent de procurer de nouvelles vies et identités à leur clientèle qui cherche à échapper à la justice. Autrement dit, des faussaires. On a peine à croire à l'existence de telles « institutions » explicitement vouées à l'aide aux contrevenants. Lorsque le justiciable d'un ressort étranger est arrêté, une juridiction locale statue sur l'éventualité d'une extradition, sous réserve que les poursuites aient été préalablement validées. Dans ce monde, non seulement de telles officines existent mais en plus, elles trahissent. Le contraire eût été surprenant. Or, s'il peut être légitime de livrer un criminel à la justice, le fondement même de tout commerce repose sur la confiance entre les parties. À savoir que le client obtiendra ce pour quoi il paie et que le fournisseur sera réglé de sa prestation. Ainsi, pour rester dans le même contexte, un avocat est tenu de défendre au mieux son client, si odieuse crapule fut-il, quoi qu'il en pense.
Un dernier point, non pas propre à ce roman mais à ce type d'univers lunaire, martien, etc. Rien ne fait état de différence de pesanteur entre la Lune et la Terre, sans pour autant que la gravité artificielle soit implicite comme dans des space opera plus classiques. Ça n'a aucune influence sur le récit mais c'est bizarre dès lors que l'on vient à y penser. Plus rien de la démarche sautillante des astronautes, tout le monde a l'air de déambuler à Armstrong comme sur la Croisette.
Plaisant à lire, sans temps mort, Les Disparus a bien davantage de fond qu'il n'y paraît de prime abord. Les questions de droit sont rarement évoquées par la science-fiction — le polar et le thriller juridique s'y prêtant mieux. Ici, la S-F permet d'accentuer la problématique que constitue la confrontation de systèmes juridiques issus de morales différentes, voire antinomiques. Si ce roman n'est certainement pas à lire toutes affaires cessantes, il n'en est pas moins une bonne alternative à maintes autres publications.