Elizabeth HAND
SEUIL
23,50 €
Critique parue en juillet 2024 dans Bifrost n° 115
Les romans d’Elizabeth Hand traduits en France sont suffisamment rares pour qu’on s’y arrête, surtout lorsqu’on apprécie la prose de la dame, de surcroît lauréate de plusieurs prix outre-Atlantique dans les genres qui nous intéressent. Paru dans la collection « Cadre noir » des éditions du Seuil, Les Disparus d’Hokuloa flirte avec le fantastique, même si l’intrigue ressortit principalement au thriller. On ne connait guère que Dan Simmons qui se soit aventuré en terre hawaïenne avec Les Feux de l’Eden, roman fort médiocre il faut le reconnaître. Rien de tel avec le présent titre. Roman post-covid pour le contexte, Les Disparus d’Hokuloa brosse le portrait en creux d’une société déboussolée à la fois par la pandémie et l’acculturation. Sur l’île d’Hokuloa, les disparus comptent moins que le chiffre d’affaires en berne des complexes touristiques désertés par une clientèle effrayée par les restrictions sanitaires. Les travailleurs saisonniers sont réduits à la misère, condamnés à survivre dans des taudis avec vue sur la mer et l’absence des croisiéristes partis naviguer vers d’autres horizons. Bref, l’économie florissante du tourisme n’est même plus un souvenir que l’on peut espérer vendre. Dans ce désastre, il n’y a guère que quelques milliardaires et stars fortunées pour tirer leur épingle du jeu, mettant à profit le confinement et l’internet pour s’aménager une bulle (financière) confortable. Grady est bien placé pour en parler. Au chômage depuis l’arrêt des chantiers au début de la pandémie, il a quitté son Maine natal, sautant sur l’opportunité d’un emploi de gardien. Tous frais payés, il se retrouve à veiller sur la villa de Wesley Minton pendant ses absences. Le richissime investisseur à succès ne lui a laissé que peu de consignes : s’occuper du bien être des locataires à plumes de sa précieuse volière, et ne pas s’aventurer vers la pointe où il possède une propriété au sein de la réserve protégée. De cette retraite paradisiaque contrainte et forcée durant la quarantaine imposée à tous les arrivants, Grady ne tire d’abord qu’un ennui profond et une angoisse indicible renforcée par l’apparition d’un chien monstrueux. Une créature qu’il identifie, après quelques recherches, comme étant le kaupe, variante locale du loup-garou, à la croisée de l’Homme et du chien. Mais quel message semble-t-elle lui adresser ? Quelle mission semble-t-elle vouloir lui confier ?
Oscillant entre thriller et roman fantastique, Les Disparus d’Hokuloa prend son temps pour faire monter la tension. Un lent crescendo sur fond de forêt luxuriante, de solitude, de croyances indigènes, de crise sociale et environnementale. Mais Elizabeth Hand nous propose surtout un roman sur la résilience, celle d’un homme meurtri par son histoire personnelle, celle d’une nature sans cesse malmenée par une humanité prédatrice. « Si tous les êtres humains de cette planète disparaissaient demain, et qu’il ne restait que ça, je n’aurais rien contre. » En attendant, on peut toujours combattre sa misanthropie en lisant le présent roman de l’autrice américaine.