Brian CATLING
FLEUVE NOIR
400pp - 24,90 €
Critique parue en octobre 2022 dans Bifrost n° 108
La parution de Les Divis vient achever la trilogie « Vorrh », initiée par le roman éponyme en 2019, et on peut d’ores et déjà saluer Fleuve Éditions pour sa constance, l’éditeur n’ayant pas renoncé à publier dans nos contrées l’œuvre de Brian Catling jusqu’à son dénouement. Un pari audacieux, tant cette dernière apparaît définitivement dense, complexe et monstrueuse, ne se dévoilant qu’au prix d’un lâcher prise sans concession. Le lecteur ne disposant sans doute pas, à portée de main, des chroniques de Vorrh et Les Ancêtres, (critiques in Bifrost 96 et 105), un bref rappel n’est peut-être pas superflu.
Immense forêt primaire et primitive, située en Afrique centrale, la Vorrh recèlerait en son sein le Jardin d’Éden et l’arbre de la Connaissance, autant dire l’origine mythique du monde selon les religions judéo-chrétiennes. Hélas, bien peu peuvent témoigner car la forêt dispose d’un arsenal défensif très dissuasif, transformant les hommes qui s’aventurent sous ses frondaisons en pantins dépourvus de mémoire et de volonté. Un fait bien connu des riches familles d’Essenwald, la ville coloniale, lieu de tous les vices et péchés, dont la prospérité repose sur l’abattage des arbres de la Vorrh grâce la main-d’œuvre servile des Limboia. Sur ce substrat mythique, pour ne pas dire mystique, Brian Catling entremêle plusieurs destins, faisant appel aux ressorts de l’amour, du complot et de la trahison, pour composer une intrigue semblable à un puzzle dont il finit par nous dévoiler le motif général dans le présent roman. Un joli tour de force, d’autant plus que la multiplication des trames dans Les Ancêtres aurait pu nous faire craindre un affaiblissement fâcheux du choc visuel initial et de sa puissance d’évocation. Que l’on se rassure, il n’en est rien, bien au contraire, Brian Catling allège sa narration pour nous rendre plus lisible les circonvolutions de son récit, sans pour autant renoncer à la poésie de ses fulgurances visuelles et à son goût pour le grotesque, voire une certaine forme de body horror. Les situations dramatiques, les pulsions vengeresses, les trahisons et complots trouvent ainsi tout naturellement leur conclusion et leur châtiment, l’auteur poursuivant en même temps sa réflexion autour de la nature humaine, de sa fragilité et de son caractère faillible. Face au mythe biblique de la Chute et face à la déchéance d’une humanité en proie au traumatisme de la Grande Guerre et aux démons du nazisme, l’espoir d’une éventuelle rédemption semble définitivement inatteignable, au point de préférer un retour à l’innocence originelle, sous l’égide d’une nature poussée à la reconquête par la perspective d’une réinitialisation de la Création. Les Divis apparaît ainsi comme une prophétie qui voit l’écrivain se muer en démiurge, pour le plus grand malheur de l’humanité, mais pour le plus grand profit d’une fantasy débarrassée de ses poncifs les plus encombrants.
Entre réalisme magique et weird fiction, la trilogie « Vorrh » n’usurpe donc pas les éloges d’Alan Moore, de Michael Moorcock ou de Philip Pullman, se révélant une œuvre ambitieuse et réfléchie, certes pas toujours d’un accès aisé, mais riche d’un imaginaire puissant et sombre. À ne pas manquer !