« Un hommage à la littérature, aux livres et au pouvoir des mots ». Ainsi était présentée « Guide sorcier de l’évasion : atlas pratique des contrées réelles et imaginaires », la nouvelle d’Alix E. Harrow parue dans Bifrost n° 99. Un commentaire que l’on reprendra volontiers tel quel pour décrire Les Dix mille portes de January, son premier roman. Hommage à la littérature, car le livre s’inscrit dans une longue tradition, d’Alice au pays des merveilles à À la Croisée des mondes, que l’écrivaine connaît visiblement sur le bout des ongles et où elle parvient sans mal à s’inviter pour faire entendre sa propre voix.
Les livres jouent un rôle essentiel dans la vie de January Ruddy, la jeune héroïne du roman, née à la fin du XIXe siècle. Elle qui a grandi sans ses parents (sa mère est morte peu après sa naissance, son père voyage sans arrêt aux quatre coins de la planète), dans un cadre certes confortable et protecteur (William Cornelius Locke, le riche employeur de son père, a pris en charge son éducation et pourvoit à tous ses besoins matériels) mais terriblement conformiste et qui la tient à l’écart du monde, elle trouvera en eux une première ouverture vers l’extérieur et la possibilité de rêver une autre vie. Un livre en particulier, Les Mille portes, étrange récit contant l’aventure extraordinaire d’une jeune Américaine née quelques décennies plus tôt, va aider January à traverser les moments les plus pénibles de son existence, avant de bouleverser sa vie à tout jamais. Quant au pouvoir des mots, fantasy oblige, il est ici à prendre au sens littéral.
Roman d’apprentissage, d’exploration, d’aventure, Les Dix mille portes de January est tout cela à la fois, et bien plus encore. Alix E. Harrow, au fil des pages, brasse quantité de sujets : racisme, colonisation, patriarcat, normes sociales, autant de thèmes qui se dessinent progressivement dans le récit à travers le regard de moins en moins naïf que porte sa narratrice sur le monde où elle a grandi. Surtout, le roman est une ode permanente à l’ouverture, aux autres, à la différence et à l’inconnu. Le résultat aurait pu être pontifiant, il est au contraire léger, tout en finesse et en inventivité, esquivant avec adresse tous les écueils du manichéisme. Les Dix mille portes de January est un roman enthousiasmant de bout en bout, et l’on est tout près de penser qu’Alix E. Harrow est bien ce qui est arrivé de mieux à la fantasy ces dernières années.