Dans les mois qui précédèrent sa sortie en fanfare, Les Enfants de Húrin sut vraiment attiser la curiosité des amateurs de Tolkien, anciens ou plus récents. Dans le prolongement du succès des longs métrages de Peter Jackson, et contrairement à certaines publications « fragmentaires », ce texte a pour lui de constituer une histoire complète et facile à résumer.
Si les habitués de Tolkien connaissaient déjà bien les grandes lignes de l’histoire de Túrin et Nienor, résumée dans Le Silmarillion, celle-ci peut se prévaloir d’être immédiatement accessible pour le néophyte : en effet, quoi de plus vendeur qu’une histoire d’amour tragique ? Néanmoins, présenter ce texte de la sorte serait toutefois réducteur. Les Enfants de Húrin, ce n’est pas cela (pas que cela, en tout cas), aux yeux de son créateur, qui entama cette histoire en 1918 sans jamais l’achever. On retrouve dans ce roman complété par Christopher Tolkien le talent de conteur du père de ce dernier dès les premières lignes du récit, ainsi que son goût pour la grande histoire. Les Enfants de Húrin se déroule longtemps avant « Le Seigneur des Anneaux », avant même que les hobbits ne fassent leur apparition en Terre du Milieu. C’est même une légende pour Frodo et les autres. Mais le ton est bien là.
Le récit se définit aussi par une noirceur nettement plus palpable que dans l’ouvrage le plus connu de l’auteur.
Certes, à l’image de son ultime chapitre, « Le Seigneur des Anneaux » se révèle loin d’être aussi rieur et positif qu’on peut l’imaginer en se livrant à une lecture superficielle ou en se contentant des films de Peter Jackson. La fausse trilogie contient une mélancolie et une amertume qui accompagnent le lecteur longtemps après avoir laissé Sam Gamegie chez lui, à Cul-de-Sac. Quiconque s’est penché ne serait-ce que sur Le Silmarillion a pu découvrir son lot d’histoires dramatiques et de destins terribles — Feänor, Húrin lui-même… —, souvent bien plus épiques encore que les aventures de la Communauté de l’Anneau. Au Premier Age, les Dieux arpentent la Terre du Milieu et leur sang coule.
Ici, la machination du Grand Ver Glaurung, l’amnésie du personnage de Nienor et son ultime décision, se révèlent d’autant plus frappants, car le lecteur a cette fois eu le temps de s’attacher au couple qu’elle forme avec Túrin. Nous ne sommes plus dans la retranscription d’événements passés sous la plume d’un chroniqueur, mais nous vivons cette histoire avec ceux-là même qui en subissent les terribles épreuves (dès le chapitre 2, on se retrouve au cœur de la Bataille des Larmes Innombrables). Si les différents tomes de « L’Histoire de la Terre du Milieu » et, dans un degré moindre, Le Silmarillion, sont souvent présentés comme à réserver à celles et ceux qui veulent vraiment pousser très loin le curseur encyclopédique de leurs connaissances, Les Enfants de Húrin se lit comme un roman plus classique, qui démontre que l’œuvre de Tolkien en dehors du « Seigneur des Anneaux » ne se limite pas à Bilbo, aux Aventures de Tom Bombadil ou aux Lettres du Père Noël.
Les Enfants de Húrin est avant tout une grande histoire poignante qui nous conduit au cœur du Premier Age et des légendes du Beleriand, au plus près de certaines figures les plus marquantes créées par Tolkien. Ce roman constitue indéniablement l’une des pièces maîtresses de l’œuvre de J.R.R. Tolkien. Et à choisir, pour le lecteur cherchant à percer les mystères du Premier Age, c’est une porte d’entrée sans doute plus aisée à franchir que Le Silmarillion.