Croiser la fiche de Joe R. Lansdale sur noosfere.org (trois titres recensés : Le Drive-in, Les Enfants du rasoir et La Mort dans l'ouest) et la liste des titres publiées en page 2 de cette réédition chez Milady est particulièrement instructif, car ces deux listes n'ont aucun titre en commun. On s'aperçoit alors qu'en France les livres d'horreur de Lansdale ont été traduits, pour certains, au début des années 90, puis que l'auteur est revenu après un creux de presque dix ans aux éditions Gallimard, en « Série noire », avec Le Mambo des deux ours, une « enquête » de Hap Collins et Leonard Pine, deux gugusses, un blanc hétéro et un noir homo, qui s'ingénient à s'empêtrer dans les pires affaires criminelles du Texas (l'état américain grand comme la France qu'on aurait tort d'imaginer comme un pointillé de caravanes et de puits de pétrole sur un désert de poussière et de cactées). Joe R. Lansdale fait partie de ces nombreux auteurs américains qui ont quitté l'horreur pour le polar (ou le thriller) quand l'horreur s'est essoufflée (en termes de ventes) à la fin des années 80, début des années 90. Reconversion réussie en ce qui le concerne, puisque sa série de Hap et Leonard marche bien et qu'il a en outre publié quelques romans indépendants (comme Les Marécages, disponible chez Folio « Policier » — 2002) qui ont fait grand bruit des deux côtés de l'Atlantique ; reconversion particulièrement réussie quand on se penche sur ces Enfants du rasoir (1987) qui narrent en 300 pages le viol de Becky, le suicide en prison de son violeur, et l'étrange héritage que ce dernier lègue à une bande de voyous ultra violents, un passage de relais particulièrement nauséabond qui se fait par le truchement du Dieu du Rasoir.
« Le Dieu du Rasoir était grand, noir, pas de race noire, mais noir, avec des yeux lumineux comme des étoiles explosant et des dents comme trente-deux épingles de cravate en argent poli. Il portait un chapeau claque autour duquel une bande brillante composée de lames de rasoir chromées scintillait. Sa veste […] était faite de la peau tannée d'un guerrier aztèque, de même que son pantalon. Des doigts de chair crue, sanglants, saillaient hors des poches de celui-ci, comme des restes de dîner stockés, et L'Horloge de la Nuit […] qui était une énorme montre à gousset pendait au bout d'un cordon fait d'un boyau attaché à la poche de la veste du dieu — une poche qui avait été autrefois une paupière recouvrant un œil. » pp 176-177.
Les Enfants du Rasoir est un livre dégoulinant de vulgarité (pourquoi pas, après tout…), dont la plupart des scènes et métaphores tournent autour du sexe ou des excréments (le reste relevant de la violence, parfois payante en terme d'ambiance, malheureusement trop souvent gratuite). Au départ brutal, le roman devient très vite lassant (comme beaucoup de sous stephenkingueries des années 80), surtout quand on s'aperçoit que l'auteur n'a guère d'histoire à raconter et n'a de cesse de différer la confrontation entre Becky et ses tourmenteurs à l'aide de longs flash-back et de dialogues ineptes. Une réédition-déception, à éviter donc, mais qui ne doit pas vous éloigner définitivement de Lansdale, car celui-ci a mûri entre 1987 et 2002 ; la preuve, Les Marécages est un grand roman noir. À noter qu'il y aurait, aussi, un très bon volume à faire de ses meilleures nouvelles « texanes », dingues de chez dingue…