Depuis bientôt dix ans en France, les romans de John Scalzi se suivent à cadence régulière et ne se ressemblent pas. Le dernier en date, Les Enfermés, se déroule dans un futur proche, vingt-cinq ans après qu’une pandémie a causé la mort de plusieurs centaines de millions d’individus à travers le monde. Et ce que les autorités sanitaires ont longtemps considéré comme un virus de la grippe particulièrement meurtrier s’est révélé plus sinistre encore, puisqu’une partie de la population touchée s’est vue dans un second temps atteinte d’une forme de locked-in syndrome, les malades ne pouvant plus ni bouger ni parler, tout en restant parfaitement conscients.
Devant l’ampleur du phénomène – auquel il convient d’ajouter le fait que parmi les victimes de ce mal figurait la Première Dame des États-Unis –, des centaines de milliards de dollars ont été investis pour extraire les malades de leur prison de chair, avec succès. Lorsque débute le roman, les Hadens, comme on les a baptisés, peuvent à nouveau mener une vie (presque) normale, en transférant leur conscience soit dans un robot, soit dans un Intégrateur, autre victime du virus capable de servir d’hôte à un esprit étranger.
Chris Shane fait partie de la première catégorie depuis son plus jeune âge. Enfant d’une ancienne star du basket reconvertie en politicien, Shane a choisi de ne pas se reposer sur ses lauriers et a préféré s’engager au FBI. Dès son premier jour au sein de l’agence, en compagnie de sa partenaire, Leslie Vann, la nouvelle recrue va être plongée dans une affaire particulièrement complexe et devoir enquêter sur un meurtre dont le principal suspect est un Intégrateur.
On savait John Scalzi romancier habile ; il le démontre une fois de plus ici. Sous ses airs de banal techno-thriller dont il adopte la plupart des stéréotypes – à commencer par son duo d’enquêteurs dépareillés mais complémentaires –, Les Enfermés révèle très vite une richesse peu commune. La progression de l’enquête permet à l’auteur d’illustrer les spécificités de cet univers, des relations parfois conflictuelles entre les Hadens et le reste de la population jusqu’aux enjeux politico-financiers nés de ce phénomène, tout en évitant le plus souvent les scènes d’explication didactiques et pesantes. En retour, ce contexte particulier nourrit l’intrigue et la conduit dans des directions assez originales.
Outre sa mécanique parfaitement huilée, le roman est d’autant plus agréable à lire que Scalzi s’appuie beaucoup sur la qualité de ses dialogues, enlevés et goguenards, même si, en contrepartie, ils ont tendance à dédramatiser un peu trop les quelques moments graves du récit. À cette réserve près, Les Enfermés est un livre qui se lit d’une traite et s’avère aussi intelligent que distrayant, une combinaison trop rare pour qu’on se permette de passer à côté.