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Les critiques de Bifrost

Les Envoyés

Shane DIX, Sean WILLIAMS
BRAGELONNE
22,00 €

Critique parue en janvier 2010 dans Bifrost n° 57

[Critique commune à Les Envoyés et Les Rescapés.]

La mode du NSO (nouveau space opera) bat son plein. En voici une nouvelle illustration, plutôt intéressante.

Les auteurs sont australiens, comme un certain Greg Egan. Peut-être leur nationalité n'a-t-elle rien à y voir mais ils se sont inspirés en guise de prémisse à leur œuvre d'une des meilleures et des plus spectaculaires nouvelles d'Egan : « Les Tapis de Wang » (au sommaire de son tout dernier recueil, Océanique). Dans la seconde moitié du siècle, pour explorer les étoiles proches, l'humanité, à travers PROCESS, a numérisé l'esprit de soixante astronautes chercheurs qui ont ensuite été copiés pour former des « équipages » comprenant trente engrammes d'un millier de missions vers autant d'étoiles dans une sphère de trente parsecs de rayon. Rappelons-nous que le texte d'Egan évoque la « condition logicielle » là où on s'attend à lire la « condition humaine »…

Que Williams et Dix développent cette splendide idée ne saurait leur être reproché tant elle est plausible, c'est-à-dire conforme aux canons du NSO. En fait, le premier tome commence avec la mission qui a atteint Upsilon Aquarii. Là, Peter Alander, dont l'engramme est défectueux, s'est vu téléchargé dans un androïde en charge d'explorer la planète tellurique du système avec l'espoir qu'il recouvre sa santé psychologicielle en disposant à nouveau d'un corps. Seul à la surface de la planète, il assiste à la construction en un rien de temps de dix tours orbitales jointes par un tore. Il est choisi comme contact par les « cadeaux », les intelligences artificielles qui gèrent les prodiges que les « Fileurs », des extraterrestres mystérieux mais formidablement avancés, lèguent aux « humains » de Upsilon Aquarii. Vaisseau et communicateur supraluminique, musée des cultures de la galaxie, carte 3D de celle-ci, combinaison d'immortalité, échantillons de matière étrange, c'est une véritable hotte de Père Noël ou caverne d'Ali Baba qui est offerte à l'Humanité. C'est aussi la boîte de Pandore…

Sur le principe bien connu depuis le film Alien, chaque mission héberge un agent de PROCESS programmé à son insu pour prévenir la Terre, avec laquelle la liaison est rompue depuis des lustres, en cas de contact avec une civilisation étrangère. Après une tentative avortée de contact, Peter Alander retourne vers la planète Bleue à l'aide du vaisseau-trou supraluminique des Fileurs. La Terre et Vénus ont disparu, utilisées par le Vincula qui est sorti de la Singularité pour construire une sphère de Dyson partielle. Le plus gros de l'Humanité a été anéanti par les intelligences artificielles qui ne voyaient là guère plus que des acariens. L'original de Caryl Hatsis est la seule « personne » survivante du PROCESS bien qu'elle ait beaucoup évolué depuis, se scindant en de multiples entités qui sont cependant toujours elle. C'est donc cette dernière, chargée du contact avec Alender, qui a envoyé un message à Upsilon Aquarii pour rendre compte de la situation dans le système solaire.

Cependant, ce n'est pas une ère de merveilles et d'abondance qui soudain s'ouvre devant ce qui reste de l'Humanité, mais les gouffres de l'enfer. Alender et Hatsis assistent, après avoir retrouvé la colonie d'Aquarii ravagée, à l'anéantissement total du Vincula et à l'éradication de la moindre trace de vie dans le système solaire par les Astéries, d'autres extraterrestres tout aussi mystérieux que les premiers. Les voilà seuls et uniques survivants de l'Humanité, et ils ont quelques difficultés à se supporter l'un l'autre. Leur unique espoir de survivance réside dans les autres missions de PROCESS.

Le premier tome est plus efficace que le second mais néanmoins, l'ensemble tient bien la route. Williams et Dix réussissent à conférer des personnalités crédibles à leurs personnages numériques post-singularité et parviennent même à les affubler de troubles spécifiques. Outre les péripéties, les auteurs s'attachent à créer un univers cohérent ce qui, parfois, les conduit à en faire un peu trop. Ainsi, les unités de Planck, qui pourraient être une nécessité dans la situation dépeinte si elle était « réelle », mais qui n'ont pas d'intérêt dans le roman si ce n'est de l'alourdir. C'est un brin casse-pieds, mais il suffit d'en faire abstraction. Le second tome est avant tout un tome de complexification où apparaissent de nouveaux protagonistes, comme il se doit.

Quoique moins difficile que la trilogie de L'Œcumène d'Or de John C. Wright, Les Orphelins de la Terre jouent dans la même cour et les auteurs essaient aussi de transcender la Singularité, de nous en proposer un au-delà crédible en la contournant au plus près. Tout comme chez Wright, on y voit des personnages étendus, multiples et fragmentés. L'idée qu'un personnage se constitue d'un corps abritant un esprit semble avoir désormais vécu et vole en éclats. La S-F nous avait déjà proposé qu'un même cerveau puisse héberger plusieurs esprits, mais c'était alors le cœur d'une histoire dont le déroulement tendait à un retour à la situation d'origine considérée comme normale. Un personnage avec un esprit éclaté et de multiples corps semble désormais un postulat de base, c'est presque un élément du décor propre aux personnages plutôt qu'une caractéristique spécifique.

Sur le front du NSO, Les Orphelins de la Terre constitue l'une des œuvres les plus avancées et les plus novatrices. L'intérêt est soutenu tout au long de ces deux premiers tomes. À défaut d'un chef-d'œuvre, on a là une solide série qui sera une bonne pioche pour quiconque a envie de se frotter à cette littérature.

Jean-Pierre LION

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