Parmi les nouveautés du tout jeune label Albin Michel Imaginaire, les amateurs de science-fiction seront sans doute impatients de découvrir, aux côtés du second tome du phénoménal [anatèm], le premier roman traduit sous nos longitudes de l’autrice américaine Kameron Hurley. Un space opera viscéral (euphémisme) où les vastitudes intersidérales cèdent la place aux profondeurs claustrophobiques et moites d’un essaim de mondes organiques. Un parti-pris aventureux, que d’aucuns jugeront guère propice au déploiement du sense of wonder. À la place, il faudra se contenter de l’atmosphère anxiogène et délétère d’un univers engagé dans un long collapsus. Bref, excepté auprès des fans d’hybridations malsaines et de délires corporels flirtant avec le gore, pas sûr que Les Étoiles sont Légion fasse l’unanimité.
La Légion se compose d’un chapelet de vaisseaux-mondes orbitant autour d’un soleil mourant. Les lieux ont sans doute connus des jours meilleurs, mais tout n’est plus que ruines, ou plutôt que tumeurs cancéreuses et chairs nécrosées, dans ce qui s’apparente désormais à un pandémonium en proie à une entropie irrésistible. Zan et Jayd ont un plan pour y remédier. Surtout la seconde, car Zan a sombré dans une fâcheuse amnésie qui la contraint à subir les événements. Pour arriver à ses fins, le duo féminin doit mettre un terme à la guerre opposant deux factions de la Légion, les Katazyrna et les Bhavaja, afin de s’emparer de la Mokshi, un monde à part, véritable électron libre doté de capacités inédites.
À l’instar de Zan, la guerrière amnésique, le lecteur est immergé en aveugle dans l’univers de chair et de sang du roman de Kameron Hurley. Le procédé est censé ménager le suspense, tout en distillant progressivement les données sur l’environnement organique des personnages. Même si l’on n’apprend pas grand-chose sur ses origines, la Légion s’avère en effet comme le point fort du roman. Un univers vivant où les habitants apparaissent davantage comme des symbiotes participant à un grand tout dont la raison d’être échappe au champ du récit. Pour apprécier Les Étoiles sont Légion, il faut aimer la plomberie, les sécrétions, excrétions et autres humeurs qui transitent dans un organisme. Kameron Hurley ne nous épargne rien de la déliquescence des lieux. On y vit, on y meurt, on y est recyclé dans un déluge de sang, de merde, de pisse et de glaires. Aucun être vivant n’est sacré. Tout n’est que chair, organe, tendon ou os, prêts à être digérés pour servir de nutriments aux générations futures, ou prêts à être implantés dans un autre corps – comme les utérus de Zan et de Jayd. Si l’univers suscite l’intérêt, voire une fascination trouble, il n’en va pas de même, hélas, de l’intrigue. Récit linéaire perclus de clichés, Les Étoiles sont Légion pèche aussi par ses cliffhangers répétitifs supposés accroître la tension dramatique. Peine perdue puisque les clés du récit nous sont livrées dès le début, via les citations en exergue de chaque chapitre. Quant à l’aspect féministe annoncé en quatrième de couverture, il se réduit à un monde exclusivement féminin, où les femmes rejouent ad nauseam la sempiternelle comédie humaine de la lutte pour le pouvoir. Un peu maigre, en somme, à moins d’y voir un rappel de l’inutilité du sexe masculin, y compris dans le processus de reproduction.
Achevons donc cette chronique sur un sentiment mitigé, entre déception et enthousiasme modéré. Les Étoiles sont Légion apparaît comme un roman bancal. Une coquille un peu creuse, voire une cellule dévitalisée. Tant pis.