Le projet derrière Les Évangiles Écarlates remonte à au moins une vingtaine d’années, aussi la parution du roman a-t-elle pris des allures d’événement : Clive Barker souhaitait y confronter deux de ses personnages les plus célèbres – tous supports artistiques confondus –, à savoir le mal nommé Pinhead (qui déteste au moins autant ce sobriquet que l’auteur lui-même, semble-t-il), le plus célèbre des Cénobites apparus dans Hellraiser, et le détective du surnaturel Harry D’Amour (créé dans une nouvelle des « Livres de sang » ayant débouché sur le film Le Maître des illusions, mais apparu régulièrement ailleurs).
La rumeur laissait entrevoir quelque chose de plutôt ambitieux, depuis tout ce temps. Mais Les Évangiles Écarlates, au-delà du pur « fan service », s’avère bien vite, hélas, un triste ratage, donnant en outre la fâcheuse impression d’avoir été écrit par-dessus la jambe – comme si le projet longtemps entretenu devait être enfin exorcisé pour pouvoir passer à autre chose.
Tout y est poussif ou presque. On peut vaguement s’amuser, dans le prologue, devant les inévitables déferlements de gore et de porno que suscite l’intrusion de Pinhead dans un cercle de magiciens – que le Prêtre de l’Enfer traque et élimine l’un après l’autre depuis longtemps, dans un but obscur –, mais il n’en reste pas moins que l’outrance coutumière de l’auteur a ici quelque chose de plus ridicule que véritablement fascinant et dérangeant ; comme si l’ambition de faire dans le bis sordide mais réjouissant échouait dans une calamiteuse zèderie. Impression hélas confirmée par les premiers chapitres mettant en scène Harry D’Amour, avec un flashback péniblement gratuit… Quand les deux personnages se rencontrent – au travers d’un stratagème guère convaincant –, on n’y croit déjà plus vraiment. Pinhead, toutefois, ne désire pas tant faire souffrir et tuer le détective, à sa manière SM habituelle, qu’en faire le témoin de ses hauts faits mégalomanes… Et c’est pourquoi – rebondissement ô combien original – il enlève la médium aveugle Norma Paine, à charge pour D’Amour de la délivrer en Enfer. La perspective d’une virée chez Lucifer ravive un temps l’intérêt du lecteur, avide d’y retrouver l’imaginaire débridé et extrême de l’auteur dans ses œuvres – entre Dante et Jérôme Bosch, forcément –, mais il faut vite se rendre à l’évidence : non, cette fois, Barker n’y arrive tout simplement pas. D’Amour et ses petits camarades errant en Enfer évoquent plus une (très) mauvaise partie de Donjons & Dragons enchaînant les péripéties plates en mode automatique qu’autre chose…
Il faut attendre les tout derniers chapitres pour enfin trouver quelques éléments vaguement intéressants, car c’est là, et seulement là, que les personnages (D’Amour, du moins) occupent enfin le devant de la scène, avec leurs forces comme leurs faiblesses – bien loin de l’excursion héroïque semée de punchlines navrantes à laquelle on avait droit jusqu’alors. Pour un roman censément basé sur deux figures aussi fortes que Pinhead et Harry D’Amour, c’est tout de même problématique…
Les Évangiles Écarlates tient donc de l’échec cuisant – et parfois agaçant, même, tant on se demande si cette auto-parodie ne contient pas une certaine part de foutage de gueule… Un mauvais pulp qui ne fait guère honneur à son sujet – fuyez, pauvres fous !