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Les critiques de Bifrost

Les Fantômes du Nouveau siècle - intégrale

Les Fantômes du Nouveau siècle - intégrale

Jean-Philippe DEPOTTE
LES MOUTONS ÉLECTRIQUES
976pp - 25,00 €

Bifrost n° 104

Critique parue en octobre 2021 dans Bifrost n° 104

Le XXe siècle ouvre grand ses portes avec l’Exposition Universelle de Paris ! Devant tant de preuves de progrès et du génie de l’homme, il est évident que le monde doit changer. En tout cas, Marie-Antoinette Verquin en est persuadée. Finie la femme reléguée derrière l’homme paternaliste ! Finie la domination d’une classe par une autre ! Du moins, elle y croit ou essaie d’y croire : elle sera créatrice de mode et habillera les dames de la haute. Mais ce n’est pas facile pour une jeune femme sans parents, qui vivote du côté des Halles et peine à garder un logement correct. Heureusement, Marie-Antoinette a du caractère. Et du bagou. Pas question pour elle de se laisser décourager ou d’être désarçonnée par une situation hors norme. Et pourtant, quand elle découvre que les morts ne disparaissent pas après le trépas, qu’ils restent – du moins, pour certains d’entre eux — parmi les vivants, et qu’elle fait partie de ceux qui peuvent les voir, elle reçoit une grosse baffe. De ces baffes qui remettent en question votre vie. Ce qui n’empêchera pas notre héroïne de réagir avec promptitude et d’essayer de comprendre. Jusqu’à se retrouver liée à un étrange Japonais, invité du patron de l’Exposition Universelle, qui cache un secret terrible aux implications possiblement impressionnantes. Un homme qui parle avec les fantômes. Et qui possède, par ailleurs, ses propres fantômes. Mais saisir ses buts est difficile, tant cet homme s’avère mutique et muré dans ses certitudes.

Initiée dans la collection des « Séries de l’étrange », les aventures de Marie-Antoinette Verquin ont été victimes de l’arrêt de ce projet éditorial au bout de seulement deux saisons. Laissant sur le carreau deux des quatre volumes prévus. Qui se tassent donc ici, en compagnie des deux autres – de même qu’une nouvelle « préquel » – dans ce pavé peinant à tenir dans une main. Chose qui ne rend guère service à l’auteur et à son héroïne, tant l’objet s’avère difficile à manier et potentiel facteur de tendinites : le plaisir de pouvoir lire la fin des enquêtes de Marie-Antoinette (comme la Reine, mais avec encore la tête) se trouve in fine salement contrebalancée par l’absurdité de l’objet lui-même.

Dommage, donc, car l’ensemble est agréable à lire, tant Jean-Philippe Depotte semble s’amuser. Et parvient à partager ledit sentiment. Il manie la langue populaire avec une verve qui ne ferait pas rougir un Michel Audiard ou un Frédéric Dard. Les mots sautillent, comme Marie-Antoinette et, malgré les situations souvent dramatiques, apportent aux récits une légèreté bienvenue. Car les quatre histoires (qui se suivent et courent sur toute l’année 1900), si on oublie le côté voltigeant de la narration, sont particulièrement tragiques : morts douloureuses, trahisons, jalousies. L’auteur n’hésite pas à peindre les passions les plus fortes, les aspects les plus sombres de cette société du début du XXe siècle, ses absurdités et ses contrastes, ses banquets battant les records de litres de vin servis côtoyant la misère de ceux qui s’entre-déchirent pour un bout de pain.

C’est aussi l’occasion pour Jean-Philippe Depotte de faire revivre un Paris oublié, celui d’avant sa transformation, celui des Halles et des zones, celui d’un avenir fantasmé, avec le Palais de l’électricité et la tour Eiffel. Et ses habitants célèbres, tels que le Préfet Lépine, Gustave Eiffel, Méliès, les frères Pathé ou Edison. Mais aussi, surtout, les personnages truculents, tendres ou ridicules inventés par l’auteur — l’agent Robiquet à la panse énorme et aux pieds plats, Fernand, l’amoureux éconduit et légèrement ridicule, la jeune Louise, avec ses rêves de mannequinat, ou la sévère madame Lebeuc, qui dirige d’une main ferme les serviteurs de la maison Picard. Tous émeuvent ou agacent, font sourire ou bouleversent. Et font le sel de ces romans entraînants et pleins de vie, de gouaille et de tendresse. Une ode à la bonne humeur et au courage.

Raphaël GAUDIN

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