Thibaud LATIL-NICOLAS
MNÉMOS
352pp - 21,00 €
Critique parue en août 2020 dans Bifrost n° 99
Suite directe des Chevauche-brumes, même si cela n’apparaît pas sur la couverture, Les Flots sombres nous plonge à nouveau dans ce royaume menacé par des hordes de créatures noires et monstrueuses. Une menace qui peut désormais venir de n’importe quel point de Bleu-Royaume ou de Biscale, de terre comme de mer. En effet, suite à l’explosion finale du roman précédent, les points de liquide nauséabond se sont multipliés et avec eux, les départs d’invasion. Parallèlement à la mise en place de la lutte contre ce fléau, les affaires politiques (de la basse politique, pleine d’ambitions et de rancœurs mal digérées) reprennent. Beaucoup restent aveugles au danger qui menace tous les habitants des royaumes. Au nom de la tradition, par bêtise ou opportunisme.
Et c’est là qu’apparaît « le » méchant. Car si les monstres, appelés mélampyges (« culs noirs », rappelons-le), tiennent encore le haut de l’affiche, ils la partagent avec un homme d’église. Un de ces fanatiques auxquels les romans et les films nous ont habitués. Et celui-ci est gratiné : un jeune homme dévoué à son maître spirituel, mais qui finit par le trouver trop mou. Un arriviste tout empêtré dans sa foi, certain qu’il est d’avoir raison et de devoir convaincre les autres. Ou les tuer, s’ils ne se laissent pas ramener dans le droit chemin. Une vraie saleté. Peut-être même un peu trop. Car en lui, pas grand-chose à sauver. Difficile de ne pas le haïr. De ne pas attendre impatiemment sa chute. Et il ressemble aussi un peu trop à tous ces prêcheurs, meurtriers au nom de leurs idées, si fréquents dans les récits : le Grand Moineau de «Game of Thrones », Kredfast dans La Lyre et le glaive de Christian Léourier, etc. C’est dommage, car Thibaud Latil-Nicolas était parvenu à dépasser certaines des facilités de son premier roman, certaines des caricatures qui encombraient par endroits Chevauche-brumes. Ses personnages gagnaient en épaisseur, s’éloignaient progressivement des clichés. Sans doute, dans le troisième tome de cette saga, Juxs, le dévot au sang sur les mains, se couvrira-t-il un peu de gris, afin d’entacher cette bure trop parfaite, trop lisse.
Troisième tome, oui, car si certaines affaires sont réglées à la fin des Flots sombres, celle-ci est ouverte, pour le moins, et il faudra donc patienter pour en savoir davantage sur les mélampyges et leur origine, plus mystérieuse qu’il n’y paraissait. Patienter pour retrouver la troupe des Chevauche-brumes et leurs armes aux noms si entraînants. Car, comme dans le premier roman, Thibaud Latil-Nicolas use de sa maitrise passionnée des termes militaires, des haquebutes aux fauchons, des énarmes aux flamberges – avec délectation. Même s’il se montre plus économe dans ce récit. Et c’est très appréciable. Il ajoute même une corde à son arc en nous plongeant dans les eaux de Biscale. Et en faisant intervenir boucaniers et pirates : batailles navales et échanges fleuris sur les ponts des navires. Une réussite ! Cette plongée en eau glacée redouble le plaisir et évite la routine. L’auteur enrichit ainsi son univers et nous offre des perspectives réjouissantes.
À l’instar d’un Pierre Pevel avec les Lames du cardinal, Thibaud Latil-Nicolas propose une série enthousiasmante, agréable à lire, aux personnages attachants. De quoi s’évader pendant quelques centaines de pages. Que demander de plus en ce moment ?