Michel DEMUTH
LE BÉLIAL'
672pp - 29,90 €
Critique parue en janvier 2023 dans Bifrost n° 109
Si l’on évoque une histoire future en SF, le nom de Robert A. Heinlein vient aussitôt à l’esprit. D’autres fresques chronologiques de l’histoire de l’humanité ont marqué les imaginations : des Chroniques martiennes de Ray Bradbury à Demain les chiens de Clifford D. Simak, en passant par les « Seigneurs de l’Instrumentalité » de Cordwainer Smith. Mais quid des auteurs français ? Michel Demuth, écrivain, traducteur, éditeur, s’y est attelé dès 1964. Aiguillé par Alain Dorémieux, il envisage un cycle ambitieux, complet, s’étendant sur près de deux mille ans. Les titres et les places des nouvelles dans la chronologie étaient prêts. Ne restait qu’à trouver le temps et l’inspiration de tout rédiger. Le premier lui a hélas manqué : Demuth est mort avant d’avoir pu achever son grand œuvre. D’où l’idée réussie du Bélial’ de confier la rédaction des textes manquant à plusieurs auteurs français, Ugo Bellagamba, Christian Léourier, Richard Canal ou Joëlle Wintrebert, pour ne citer qu’eux. Et la greffe a pris : les nouvelles s’incluent parfaitement dans l’ensemble, reprennent les thèmes premiers du cycle et se permettent même de citer des personnages ou des situations entraperçus dans les récits de Michel Demuth, renforçant ainsi la cohésion de l’ensemble.
Les Galaxiales, ce sont des textes incisifs et vifs au début, poétiques et plus touffus vers le milieu (à la limite de certaines expériences surréalistes), qui parlent de personnages et, à travers eux, de la société, de l’humanité, de son expansion, de ses crises. Chez Michel Demuth, tout passe par le petit bout de la lorgnette : on découvre l’évolution de son histoire en filigranes, derrière la vie de ses protagonistes. Car l’histoire du futur bâtie par ce grand écrivain est avant tout une série d’instantanés, d’évènements vécus par des individus. Qui changent leur vie avant de changer la société. Qui bouleversent leur existence avant de faire évoluer celle de millions d’autres. Une histoire à l’échelle humaine.
Mais une histoire originale et exotique, où les planètes nouvelles bénéficient du traitement typique des années 60 et 70, avec force descriptions colorées et fantasques, force plantes étranges et créatures dangereuses. Dépaysement garanti. Où l’humanité se répand à travers les étoiles et crée de nouvelles civilisations, plus jeunes, ambitieuses, avides de conquêtes. Où les conflits sont multiples, les inventions nombreuses, les morts innombrables. Où la religion reprend du poil de la bête et renforce son influence. Où le plaisir est, comme toujours, un moteur universel. Un panorama parfait et désabusé des passions humaines.
La seule histoire du futur française était incomplète. Cette erreur est à présent réparée. On peut désormais s’offrir un voyage passionnant à travers le temps et l’avenir de l’homme. Et tout cela protégé dans un écrin de la collection « Kvasar » illustré par Philippe Druillet himself, avec mise en couleurs de Nicolas Fructus. Ça envoie du lourd ! Alors, franchement, que demander de plus ?