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Les critiques de Bifrost

Les Garçons de l'été

Les Garçons de l'été

Ray BRADBURY
FLAMMARION
264pp - 20,00 €

Bifrost n° 72

Critique parue en octobre 2013 dans Bifrost n° 72

Vingt-cinq nouvelles, dix-huit déjà publiées et sept inédites. Très peu de science-fiction, un peu de fantastique, beaucoup de poésie. Voilà le programme de ce recueil nostalgique placé sous le signe du temps qui passe, du regard doux-amer sur le passé. Un écrivain plus tout jeune, Ray Bradbury, se penche sur les liens entre les générations, les regards que chacune peut porter sur l’autre, l’envie de revivre ce qui a disparu, de revoir ceux qui ne sont plus. Sans perdre son ironie parfois mordante, ni cette tristesse ténue et omniprésente de celui qui a vécu beaucoup et voit disparaître un monde.

Dans « La Rentrée » ou dans « Après le bal », des anciens, comme l’on dit pudiquement de nos jours, recouvrent la jeunesse, en pensée ou en réalité… Dans « In memoriam », un père évoque son fils disparu, par l’entremise d’un panier de basket. Dans « Tête-à-tête », c’est une femme qui peut, grâce à une trouvaille originale, continuer à converser avec son mari mort depuis peu. Enfin, dans « Entre-temps », un homme se voit à plusieurs moments de son existence lors d’une soirée, se redécouvre enfant, jeune marié, passionné.

La nostalgie est présente dans la plupart des nouvelles, même dans « La Grande tournée d’Adieu de Laurel et Hardy sur Alpha du Centaure », l’un des rares textes de SF de ce recueil. Les fantômes de ces grands acteurs sont convoqués numériquement pour redonner le moral aux hommes isolés dans différentes bases spatiales. Ou dans « L’accumulateur F. Scott / Tolstoï / Achab », quand une machine à remonter le temps permet au narrateur d’essayer de sauver de leur funeste destin quelques grands noms de la littérature.

Mais Ray Bradbury se laisse aussi parfois guider par les mots, les phrases, les idées, dans des nouvelles fantasques, folles… peut-être pas tant que ça, malgré tout. « L’Ennemi dans le blé » met en scène un homme qui s’imagine une bombe tombée dans son champ de blé sans exploser. Sa vie serait en danger permanent. Une façon pour lui de donner un peu de piment à son existence trop morne, trop terne. Avec « Le Grillon du foyer », une surveillance inexpliquée d’un couple sans histoire par le FBI amène un peu de piment dans une existence bien réglée, sans plus de passion : elle est l’occasion de revivre un peu, avant de tomber à nouveau dans le train-train fade du quotidien. Dans « Le Dragon danse à minuit », une critique amusée de certains réalisateurs d’avant-garde, Ray Bradbury met en scène un producteur de cinéma raté. Mais un jour, sa fortune est faite grâce à un projectionniste saoul qui mélange les bobines du film et crée malgré lui un chef-d’œuvre…

Ray Bradbury dit de lui-même qu’il a « essuyé un véritable déluge de métaphores ». Cela illustre bien l’amour des mots et des idées du bonhomme. On le sent prêt à noter une phrase sur un bout de nappe en papier pour en faire une nouvelle le soir même, de retour chez lui. Bien sûr, les résultats sont inégaux. Toutes les intuitions ne se valent pas. Certains textes restent légèrement abscons, comme « One-woman show » ou « Là où règne le vide, on se déplace comme on veut ». Mais ce recueil est une agréable balade, comme un bonbon sucré à l’arrière-goût acidulé, promenade dans laquelle il serait dommage de ne pas se laisser entraîner.

Raphaël GAUDIN

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