Arthur C. CLARKE
MILADY
384pp - 7,60 €
Critique parue en juillet 2019 dans Bifrost n° 95
La Lune est désormais une destination touristique comme une autre, si ce n’est qu’elle est réservée aux plus fortunés. Ceux-ci peuvent découvrir les stupéfiants paysages lunaires, comme les différentes mers, et notamment celle (fictive) de la Soif ; la visite se fait avec le Séléné, un petit vaisseau à même d’accueillir une vingtaine de voyageurs, « surfant » sur la poussière qui recouvre le sol lunaire. Lors d’une excursion, le véhicule est malheureusement victime d’un accident : la poussière s’effondre sous lui et il se retrouve enseveli. Les services touristiques, qui ne reçoivent plus le signal émis périodiquement, comprennent qu’il y a un souci. Les secours s’organisent, mais la course contre la montre est désormais engagée : sous la couche de poussière, le Séléné est difficilement localisable, et ne dispose que d’une autonomie de quelques heures. Le capitaine et ses passagers pourront-ils être sauvés à temps ?
On le sait, l’œuvre d’Arthur C. Clarke baigne dans la hard science. Les Gouffres de la Lune n’échappe pas à la règle : tout y est en effet analysé sous l’angle scientifique, comme l’origine de l’accident : la fameuse poussière lunaire y est amplement décrite. Le roman datant de 1961, les connaissances lunaires ont évolué depuis, et l’on sait désormais que le régolithe, aux grains très fins et magnétisés qui collent aux combinaisons et rentrent dans les plus petits interstices, ne permet pas le mode de déplacement du Séléné. De même, sa couche ne dépasse pas huit mètres, de sorte que l’enfouissement décrit paraît invraisemblable. À l’époque, néanmoins, c’était crédible, et les connaissances de 1961 sont ici parfaitement utilisées. La tentative de sauvetage est également décrite avec force détails : comment sauver un vaisseau que l’on ne voit pas, que la poussière menace de recouvrir, et quand on n’a finalement pas tant de matériel à disposition (en dépit du tourisme, les infrastructures restent assez sommaires) ; il faut alors faire preuve d’imagination, tout en restant prudent dans la mise en pratique de solutions théoriquement viables. Enfin, bien sûr, les modalités de survie à bord du Séléné : si Clarke élude la possibilité du manque d’oxygène (le Séléné est prévu pour tenir longtemps), il s’intéresse davantage à l’évacuation du monoxyde de carbone exhalé par les passagers ou à la chaleur résultant de l’ensevelissement sous la poussière. Bref, tout — ou presque — est motif à questionnement scientifique, dans une tentative d’expliquer l’ensemble des tenants et aboutissants. En vulgarisateur chevronné, Clarke rend cela éminemment lisible, distillant à merveille les passages explicatifs au sein de scènes rythmées par l’urgence de la situation. Et, surtout, il n’oublie pas l’enjeu humain au cœur des débats — plus de vingt personnes risquent leur vie, certains parmi les secouristes leur poste ou leur honneur. Malgré quelques grosses ficelles (la présence fortuite d’un commandant militaire parmi les touristes, le voleur en fuite et son chasseur), des personnages caricaturaux (la vieille fille acariâtre et jalouse), Clarke réussit son entreprise, à savoir nous faire partager l’angoisse des occupants du Séléné ainsi que celle des personnes impliquées dans les secours, et cela, même si l’issue ne fait guère de doute, l’auteur ayant une confiance inébranlable dans la capacité qu’a la science d’aider l’Homme dans les missions qu’il se donne.
Nominé au prix Hugo, ce roman fut tout d’abord publié en deux volumes dans son édition française (S.O.S. Lune et Les Naufragés de la Lune en Fleuve Noir « Anticipation » en 1962, et chez Marabout « Poche 2000 » en 1974). Il est connu dans sa version originale pour avoir été le premier récit de SF à faire l’objet d’une édition condensée du Reader’s Digest. Un roman solide qui, malgré l’obsolescence du point de départ scientifique (la fameuse « moondust »), reste une valeur sûre dans l’œuvre de Sir Arthur C. Clarke.